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19 octobre 2009 1 19 /10 /octobre /2009 21:39

L’Express a fait un article très détaillé sur Viktor Bout, trafiquant d’armes présumé (très très présumé..), dont la vie a inspiré le film d’Andrew Niccol « Lord of the war », et qui est détenu en Thaïlande depuis plus d’un an, après avoir été piégé par des agents de la DEA (anti-drogue des États-Unis).


 
 
« Gamin, il manie les langues étrangères comme d’autres assemblent les Lego. A 12 ans, il parle le persan et l’espéranto. Il poursuit ses humanités à l’Institut militaire des langues étrangères, le vivier de l’espionnage soviétique, quand, en 1991, l’empire implose. "Et là, du jour au lendemain, toutes les armes entassées par l’Armée rouge* pour préparer la Troisième Guerre mondiale se sont transformées en de vulgaires marchandises", souligne Vadim Kozuline, professeur au Centre d’études politiques de Moscou. »
(* Le vrai nom est l’Armée soviétique)

« Cette semaine, Alla est partie rejoindre son mari à Bangkok, pour l’épauler avant l’audience décisive du 29 avril. En prison, il a appris deux nouvelles langues : le thaï et le sanskrit. »

Comme à leur habitude en matière de langues étrangères, les journalistes ne font pas dans la nuance : cet homme a vraisemblablement pu apprendre en prison quelques notions de base du thaï et du sanskrit, mais n’a probablement pas « appris deux nouvelles langues », pas plus qu’on apprend le russe en un mois, même si c’est marqué sur la publicité d’un manuel !

Il n’est pas encore fixé sur son sort, suspendu à la demande d’extradition des Étas-Unis, et plaide non coupable.

Loin de nous l’idée de lui chercher des circonstances atténuantes, mais, comme tout trafiquant d’armes, il pourrait plaider qu’il n’a fait que suivre l’exemple des grands pays - États-Unis, Russie, Grande Bretagne, France - exportateurs d’armes et de haute technologie (missiles, nucléaire civil et probablement militaire), qu’il a appliqué les principes sacro-saints de l’économie libérale à sa petite entreprise familiale - florissante et mondialisée... Qu’il a suivi à la lettre le dogme de la concurrence libre et non faussée, cher à notre Commission européenne !

Il pourrait même soutenir que ses ventes ont (peut-être) tué ou mutilé moins d’enfants que les mines antipersonnel dont certains pays refusent toujours de signer l’interdiction (Russie, EUA, Chine, Israël, Pakistan, pour ne citer que les plus industrialisés).

L’amoralité des États trouve toujours à se justifier, mais pas celle des particuliers, c’est bien connu depuis la fameuse formule, de Jean Rostand, sauf erreur :

Tuez un homme - vous êtes un assassin,
Tuez-en dix vous - êtes un monstre,
Tuez-en 1 million - vous êtes un conquérant,
Tuez les tous, et vous êtes Dieu !

De toute façon, il plaide non coupable...
 
2. Dans les forums espérantistes, certains messages semblent juger préférable de ne pas en parler, pour ne pas nuire au mouvement espérantiste, un peu comme on cache un secret de famille un peu honteux.  

Personnellement, je pense exactement le contraire : enfin nous avons un beau pourri qui parle espéranto ou l’a jadis étudié, un authentique criminel, un mafieux qui mène grand train dans le monde entier grâce au trafic d’armes ! De plus, c’est une vedette dans sa branche, une sorte de Robert de Niro du missile premier prix, depuis que Hollywood s’en est inspiré.

Le mouvement espérantiste existe depuis 120 ans et, bien que son soutien demande en général un brin d’idéalisme, doublé d’un solide caractère pour affronter les sarcasmes, il a dû avoir son lot de magouilleurs, voire de voleurs. Mais s’il y en a eu, ce ne furent que des magouilleurs à la petite semaine, des gagne-petit du crime ; et encore le mot "crime" est-il peut-être un peu fort, car nul ne se souvient d’un seul de ces besogneux de la délinquance !

Depuis des décennies que les médias colportent des clichés sur les espérantistes, qu’ils nous décrivent en somme comme des hippies attardés, des végétariens fanatiques, des babas cools qui gardent leurs chèvres, un pétard au coin des lèvres, des zozos un peu dépassés par la mondialisation, voilà enfin un espérantophone totalement moderne qui peut nous aider à nous défaire de cette image ringarde !

A l’heure des révélations en cascade sur les patrons rapaces et le capitalisme de chacals, qu’y a-t-il de plus moderne qu’un trafiquant international, amateur de haute technologie, un homme de son temps, pour qui transmettre un achat de missiles sol-air par téléphone-satellite est un jeu d’enfant ?

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il nous faudrait dans le mouvement espérantiste d’autres criminels de ce calibre... mais un seul, ça nous place d’emblée dans le 21e siècle !

A la limite, ce serait mieux qu’il plaide coupable, de quoi faire la pige aux autres langues : l’anglais a son Madoff, et la finance dévoile ces temps-ci les noms de tellement de requins et de rapaces qu’on a du mal à suivre l’actualité...
 
De plus, les gens en général n’aiment pas la perfection, car elle est humiliante : face à un être qui serait parfait, on se sent minable, grossier, inachevé. Alors, ces espérantistes qui prétendent avoir la solution à la communication européenne ou mondiale, qui se targuent d’idéalisme et d’humanisme comme s’ils étaient le seuls à posséder ces qualités, qui s’étonnent qu’on ne reconnaisse pas plus vite la l’efficacité et l’élégance de l’espéranto, à leurs yeux évidentes, on comprend que ça puisse agacer.
 
Désormais, c’est fini tout ça, et si quelqu’un nous lance, très agacé :
— Vous avez la grosse tête ! Pour qui vous prenez-vous ? Vous vous croyez supérieurs ?
 
On pourra répondre :
— Mais pas du tout, regardez : Viktor Bout, le marchand d’armes, est espérantophone, je peux vous assurer qu’il n’est pas du tout idéaliste, et que son humanisme est très douteux...
 

3. Par contre, il y aurait beaucoup à dire que le fait que l’Express signale qu’à 12 ans il parlait l’espéranto.

Certes, c’est exact, et c’est dit sans malveillance aucune, sans l’ombre d’une allusion. Certes, cela n’occupe qu’une ligne d’un long article, par ailleurs passionnant et bien écrit, alors de quoi se plaint-on ?

Mais tout simplement que ce journal ne se souvient de l’existence de l’espéranto que lorsqu’un truand le parle !

Ou alors comme métaphore à tout faire pour journaliste en petite forme :
« En revanche, le langage des gestes, cet espéranto planétaire, situe avec éloquence le taux de popularité local du chef de l’Etat. » (du Congo)

« Fantômas lui avait appris, assurait-il, « la troublante éloquence du rêve, l’espéranto du silence. » (au sujet de Prévert)

Par contre, nulle mention dans l’Express en ligne, sauf erreur, des députées européennes espérantistes, des députés français qui soutiennent la demande de l’autoriser à l’école (en option au bac), de la liste EDE aux européennes qui le propose comme langue véhiculaire commune aux Européens (tout en gardant chacun sa langue et sa culture, of course), des chroniques de Jacquard à la radio, du Pr Reinhard Selten, prix Nobel d’économie (prix géré par la fondation Nobel), tête de liste EDE en Allemagne, de l’usage de l’Eo sur le site de la ville de Montpellier, ou pour les bateaux-mouches de Strasbourg, de la réception au siège parisien de l’Unesco, de son succès au festival des langues de Nankin... Bref, jamais aucune mention des progrès actuel et du nouvel élan de l’espéranto.

Jamais non plus aucun article sur la question de la communication dans l’UE. Le dernier que j’aie trouvé, toujours sur l’Express en ligne, c’est cet entretien avec Umberto Eco :

« Aucun pouvoir sur terre ne peut imposer une langue nationale ni une langue véhiculaire. Les langues sont en quelque sorte des forces biologiques. Indépendamment de cela, l’intérêt de l’anglais, c’est que, pour des raisons historiques ou même grammaticales, on peut plus facilement le martyriser que le français ou l’italien. Avec l’anglais, on peut donc parler pidgin et se faire comprendre. Et les anglophones acceptent tout. Peut-être que, dans un demi-siècle, ce sera l’arabe ou le chinois ! Mais, je le répète, comme je l’ai soutenu dans mon livre sur la recherche de la langue, on ne peut pas imposer une langue. La seule possibilité, c’est le polyglottisme sauvage ! »

Mais on a vu avec la crise financière que les experts et les spécialistes se trompaient tout aussi souvent que les autres, et l’intelligence incontestable d’Umberto Eco ne fait de ses déclarations que son avis personnel.

De plus, la démarche scientifique ne consiste pas à suivre un avis, aussi éminent soit-il (travers dans lequel la médecine est longtemps tombée), mais à expérimenter, à prouver. Or, à ce jour, l’UE refuse les malheureux milliers d’euros qui permettraient de vérifier que l’espéranto est très largement plus facile et plus rapide à apprendre que l’anglais ou le français, de tester sa fiabilité comme langue-pivot dans la traduction (tests de traduction et rétro-traduction après passage par la langue pivot).

Bref, peu me chaut qu’un criminel ait appris l’espéranto dans sa jeunesse. À la limite, ça banalise cette langue, ça détruit l’image ringarde que certains médias et certains « intellectuels » peu informés ou pleins de préjugés persistent à propager ; cela montre que l’espéranto existe aujourd’hui et existera demain, qu’il progresse. (Les cassettes pornos avaient soutenu le marché balbutiant des magnétoscopes, quand les appareils étaient très chers.)

Il est naturel que les médias citent incidemment que ce malfaiteur polyglotte fut ou est encore espérantophone, mais à la condition de ne pas boycotter toute autre information à son sujet, d’en parler aussi (et surtout) lorsque des citoyens honnêtes, anonymes ou connus, prennent position en sa faveur.

Les journaux régionaux maintenant rapportent sans manières les activités des associations locales ou les évènements ponctuels, mais le premier cercle des grands médias nationaux conserve un fonds de méfiance et de préjugés.


4. Soyons réalistes : à mesure que l’espéranto élargira son audience, la probabilité que des malfaiteurs l’apprennent augmentera !

A mesure que cette langue approchera de la « fina venko », c’est-à-dire de son usage large comme langue véhiculaire de l’humanité, ce pour quoi elle a été conçue, les locuteurs moins idéalistes se feront de plus en plus nombreux, et certains militants de longue date pourront légitimement regretter l’ambiance fraternelle et chaleureuse de la « movado » (mouvement) d’autrefois, comparable à la solidarité professionnelle que l’on peut ressentir dans de nombreux métiers, ou à la chaleur humaine de la vie associative.
 
Certes, je préfèrerais moi aussi que de grandes ONG réalisent enfin le potentiel de l’espéranto comme langue internationale et se mettent à l’utiliser en interne pour leurs équipes, mais il y a fort à parier que divers criminels se rendent compte eux aussi, un jour, qu’il leur est plus facile de commniquer en Eo qu’en anglais... Rien de ce qui est international ne leur échappe, ils savent utiliser la technologie la plus moderne, et le monde du crime s’est mondialisé bien avant la police et la justice !
 
Et comme l’a fait l’Express avec Viktor Bout et l’espéranto, je vous livre une info : certains trafiquants d’armes parlent anglais !
 
Qu’on se le dise, l’espéranto est une langue vivante, moderne, prometteuse, une langue d’avenir. La preuve : les grands malfaiteurs commencent à s’y intéresser !
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