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19 juin 2010 6 19 /06 /juin /2010 22:17

Un des habitants les plus occupés de la ville allemande Herzberg am Harz est certainement son maire, Gerhard Walter (GW). Mais notre correspondante à Herzberg, Małgosia Komarnicka (MK), a pu le convaincre de trouver un peu de temps pour répondre à quelques questions, en exclusivité pour "La Ondo de Esperanto".
 
Car Gerhard Walter est le premier maire de la première et actuellement la seule ville-espéranto (1) au monde. Ce n’est pas sa seule caractéristique. Il est toujours souriant, chaleureux, amical ; pendant les rencontres officielles, il trouve toujours le temps d’échanger quelques mots presque avec chaque personne ; mais le plus important, c’est qu’il apprend l’espéranto, et il trouve toujours un moment pour les espérantistes. Les premières questions ont porté sur l’espéranto.

(Interview paru dans le mensuel espérantophone La Ondo de Esperanto 2010, N°6, traduit par krokodilo).
 
MK : Êtes-vous conscient d’être un maire unique et atypique ? Principalement parce que vous défendez et soutenez ouvertement l’espéranto ?
GW : Oui. Je suis un peu comme Don Quichotte. J’ai vite remarqué que beaucoup de mes collègues n’ont pas réalisé que l’espéranto est une chance.

MK : Pourquoi apprenez-vous l’espéranto ?
GW : Parce que des citoyens d’Herzberg, très actifs, enseignent cette langue et travaillent en sa faveur. En tant que maire, je dois le refléter.

MK : En apprenant l’espéranto, vous vous êtes déjà fait une idée de ses avantages et ses inconvénients. Pouvez-vous nous les indiquer ?
GW : Les avantages : la rapidité d’apprentissage. Les inconvénients : de trop nombreux préjugés, et un manque de soutiens à des postes influents.

MK : Selon vous, existe-t-il des perspectives pour l’espéranto dans le futur ? La Pologne peut-elle jouer un rôle particulier dans son développement ?
GW : Je pense que l’espéranto restera encore un « hobby » pendant des décennies. Imaginez si les Britanniques devaient demain conduire à droite... Les structures sont trop rigides. En Pologne, cela pourrait être plus facile qu’en Allemagne. Là-bas, on pourrait à mon avis « décréter » que l’espéranto est quelque chose de positif. Parfois, on doit pousser les hommes vers leur bonheur. En Allemagne, c’est difficile.

MK : Selon vous, l’espéranto pourrait-il être une « langue-pont » entre les hommes des divers peuples ?
GW : Tout à fait. Je le vis tous les jours à Herzberg. Il y a quelques années je n’aurais pu imaginer que, par exemple, des Asiatiques et des Africains communiquent entre eux par l’espéranto, et non en anglais !

MK : A votre avis, quelle devrait être la première qualité d’une langue internationale ?
GW : Je répondrais que l’espéranto est très facile à apprendre – surtout pour ceux qui ont déjà appris le latin, l’anglais ou le français.

MK : Selon vous, l’idée d’une langue internationale rapprochant les hommes est-elle trop idéaliste dans le monde qui est le nôtre aujourd’hui ?
GW : Oui – c’est ainsi.

MK : En tant que maire de la ville-espéranto, vous rencontrez souvent des espérantistes. Quel souvenir gardez-vous principalement de ces rencontres ?
GW : Des gens sympathiques, très engagés – malheureusement trop peu nombreux à des postes influents.

MK : Au Parlement européen, il y a une forte opposition à l’espéranto comme langue européenne commune, bien que l’espéranto se soit montré une solution efficace pour la communication internationale. D’après vous, quelle est la raison de cette attitude ?
GW : Chaque homme s’en tient à ce qu’il a appris – dont il dépend. C’est seulement lorsque l’espéranto sera enseigné à l’école comme une vraie alternative que l’idée aura sa chance.

MK : L’idée de l’espéranto est, d’une certaine façon, idéaliste. Les hommes, pris individuellement, réalisent leurs rêves au moyen de cet idéalisme. Les politiciens et les professionnels des langues trouvent des arguments contre l’espéranto. Pourquoi, d’après vous, n’existe-t-il pas de consensus sur les qualités linguistiques de l’espéranto ?
GW : Comme je l’ai déjà dit, chaque homme pense d’abord à lui-même. Pourquoi chacun n’apprendrait-il pas d’abord l’anglais, l’espagnol ou le français ? L’espéranto n’a pas actuellement de lobbyistes qui parlent en sa faveur.

Comme le maire de Herzberg avait encore un peu de temps, notre correspondante a décidé de lui poser quelques questions sans rapport avec l’espéranto, pour mieux faire connaître sa personnalité aux lecteurs.

MK : Quelle est votre règle de vie ?
GW : Avoir une attitude positive – alors on réussit (presque) tout.

MK : Quelles sont vos forces et vos faiblesses ?
GW : Mes points forts sont une bonne santé, une bonne mémoire et une attitude positive face à la vie. Mes points faibles sont l’autoritarisme, le désir de convaincre les autres ; j’écoute mal.

MK : Y a-t-il quelque chose que vous ayez atteint laborieusement ?
GW : Des notes moyennes ou bonnes à mon examen d’entrée (j’étais seulement dans la moyenne).

MK : Vous avez de nombreuses activités. Arrivez-vous à concilier vie privée et vie professionnelle ?
GW : Seulement difficilement. Plus je suis maire, plus il y a de travail qui m’attend. Cela empiète sur mon temps libre et donc sur ma vie familiale.

MK : Qu’est-ce qui vous détend le plus ? Comment passez-vous votre temps libre ? Quel est votre loisir préféré ?
GW : Autrefois, écouter de la musique me reposait, de la musique apaisante, par exemple "Amazing grace" par Judy Collins et d’autres.

MK : Êtes-vous curieux du monde ? Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans le monde ?
GW : J’ai un côté un peu Faustien (2), je ne quitte pourtant presque pas ma circonscription. Dommage que l’on soit juste un hôte de passage dans ce monde...

MK : Aimez-vous la lecture ? Quel livre avez-vous lu dernièrement ? Quel livre emporteriez-vous sur une île déserte ?
GW : Je ne lis pas de romans. Ma littérature est faite de lois, de décrets, de protocoles, etc. Sur une île déserte, il y aurait trop de travail.

MK : Je vous remercie vivement d’avoir consacré tout ce temps à notre entretien. Tous mes vœux de succès !

(Entretien réalisé par Małgosia Komarnicka)

(1) Le nom de "Ville de l’espéranto" (Die Esperanto-Stadt), adopté en 2006 par décision du Conseil municipal, apparaît désormais sur la page d’accueil du site web de la ville allemande de Herzberg am Harz.
(Sat-Amikaro)

(2) Ndt : probable allusion à la curiosité intellectuelle qui motivait Faust, et non à son pacte avec le Diable.

Article original également sur La Ondo de Esperanto en ligne.

Article en allemand, sur ce maire atypique et, selon nous, en avance sur son temps.
 
par Krokodilo (son site) vendredi 11 juin 2010

 

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5 juin 2010 6 05 /06 /juin /2010 13:05

Un article de Alice Liu, traduit de la revue espérantophone "Monato" (mai 2010) – le traducteur étant également responsable du choix des liens hypertexte.


Ce n’est pas la Saint-Valentin qui presse les Chinois vers leur domicileavant le 14 février, mais la traditionnelle fête de printemps.
(Wikipedia)

La date varie d’une année sur l’autre entre la dernière décade de janvier et la deuxième décade de février, et tombe le premier jour de l’année lunaire chinoise. Les Chinois festoient sept jours.
La réunion familiale est longuement attendue par les Chinois. Au seuil du Nouvel an chinois, le foyer attire comme un aimant tous ceux qui sont au loin depuis longtemps. Quelle est la nature de cette force ? La culture. Il est émouvant d’assister à la télévision, avant la fête, à l’exode des passagers dans les aéroports et dans les gares.

La fête est appelée ainsi parce qu’elle tombe au début du printemps, la première saison de l’année, quand renaissent dans la nature diverses formes de vie. Dans la culture chinoise, la fête de Printemps est marquée par un dîner familial qui réunit les générations, par l’explosion de pétards qui, pense-t-on, chassent les mauvais esprits, par les vœux du Nouvel an qu’on présente aux autres en signe d’harmonie, et par l’accrochage au mur, ou de part et d’autre de la porte d’entrée, de devises parallèles qui expriment l’aspiration au bonheur. Sans ces traditions, les Chinois perdraient une culture très ancienne.

A grande échelle

La migration de la fête du Printemps, la plus grande de l’histoire humaine, s’étale chaque année sur une quarantaine de jours. Cette année, elle a commencé le 30 janvier. Les avions, les trains, les autobus et les bateaux sont pris d’assaut. Le Ministère des chemins de fer chinois avait estimé qu’aux alentours de la fête du Printemps, les trains transporteraient 210 millions de personnes, soit 5,25 millions par jour. Chaque jour, du 6 au 12 février, 180 000 passagers sont montés dans les trains à la gare occidentale de Pékin, avec un pic à 310 000 passagers.
On s’imagine bien que les billets soient difficiles à obtenir. Bien qu’on puisse en acheter dans les gares ou auprès de leurs agents, ou les commander par téléphone, textos et Internet, on n’est pas sûrs du tout d’obtenir des places assises. Il faut faire la queue pendant des heures dès le petit matin, avant le début de la vente des billets. A Pékin, trois gares ferroviaires fonctionnent jour et nuit avec 410 guichets de vente, y compris ceux qui sont réservés aux étudiants et aux travailleurs originaires de la campagne. Pendant cette période circulent 91 trains supplémentaires.

Bondés

Cependant, voyager signifie parfois souffrir. Le 25 janvier, le train entre Shenzhen et Xinjiang s’est arrêté seulement quatre minutes à la gare de Dongguan, où plus de 1500 passagers attendaient. Les conducteurs ont aidé les passagers à grimper par les fenêtres du train. Cette scène a été photographiée et diffusée sur Internet. Le site Dayang a dit que dans le train de Guangzhou (Canton) à Xinjiang, toutes les places assises étaient occupées, les gens étaient entassés dans les couloirs, dans les sas entre les wagons, dans les toilettes, et même sur les dossiers des sièges.
Dans la région de Guangdong, 130 000 ouvriers issus de la campagne sont revenus chez eux en motocyclette, dans les provinces de Guandji, Guizhou, Hunan et Sichuan, par souci d’économie. Ils voyageaient avec casque et imperméable, seuls ou à plusieurs. Les autorités locales ont envoyé 20.000 policiers pour réguler le trafic et installer sur la route des aires de repos pour les voyageurs.

Spéculation

Avant et après la fête du printemps de l’année 1993, les prix des billets de train furent temporairement augmentés pour modérer le trafic en certains endroits. Cela n’a cependant pas pu diminuer le nombre de passagers. Depuis 2008, les billets de train ne sont plus augmentés pendant les festivités. De nouvelles règles ont été fixées pour limiter l’achat de billets en grand nombre, afin d’en freiner le marché noir. Ainsi, pour acheter un billet, il est nécessaire de fournir une pièce d’identité ou une de la vingtaine d’autres attestations - comme pour les billets d’avion.

Ces nouvelles mesures ne semblent pas avoir été efficaces, et de nombreuses personnes les critiquent sur Internet. Un forumeur a émis cette opinion : « Les règlements ne peuvent pas augmenter la capacité du trafic, ils causent au contraire davantage de blocages, parce que la technologie pour falsifier les attestations est plus avancée que celle qui permet d’imprimer les billets. »

Infrastructure

A côté des solutions provisoires, la Chine a fait de grands investissements dans les infrastructures. Ces quatre dernières années, on a construit une ligne de train à grande vitesse, sur plus de mille kilomètres. Selon le ministère chinois des chemins de fer, en 2012, les régions reliées par les TGV représenteront 95% de la population. A ce moment-là, le temps de transport sera considérablement réduit. Par exemple, le voyage entre deux grandes villes comme Wuhan et Canton, distantes de 1068 kilomètres, prendra moins de trois heures, c’est-à-dire huit de moins qu’aujourd’hui. Le voyage entre Pékin et Hong-kong ne dure déjà plus 24 heures, mais seulement le tiers.
 
La raison principale de cette migration à grande échelle réside dans le fait que le développement économique des diverses régions de Chine est déséquilibré. De nombreuses forces vives, qui ne sont pas nécessaires, quittent les villages pour les villes et les petites villes pour les métropoles. Par rapport à la façade maritime orientale, les autres régions demeurent relativement pauvres.

Stagnantes

Au début de la politique de « réformes et ouverture », les villes du littoral oriental, comme Shenzhen, Canton, Shanghai et Dalian, furent les premières à nouer des relations commerciales avec les pays étrangers, et l’économie y connut un rapide développement. Mais d’autres régions, surtout les provinces occidentales, comme le Sichuan, le Yunnan, le Tibet et Qinghai, ont stagné. C’est pour cela que les habitants des régions pauvres, surtout ceux faiblement éduqués, ne veulent et ne peuvent trouver dans les villes orientales que du travail manuel peu qualifié.
Certains migrants craignent de revenir chez eux. Le journal "Jeunesse chinoise" a fait une enquête en ligne, à laquelle 1840 personnes ont répondu. 69,4% ont déclaré avoir peur de « perdre la face » (humiliation), parce qu’ils ne pouvaient gagner suffisamment d’argent pour s’afficher devant leurs parents et amis. D’autres craignent la forte affluence, le mariage forcé par les parents, les attentes de banquets fastueux et l’argent à offrir aux enfants pour le Nouvel an.

La migration à grande échelle est un phénomène unique, propre à la Chine. On peut espérer que lorsque les politiques favorables aux paysans se seront concrétisées, comme par exemple la suppression d’impôts agricoles, des subventions pour acheter des appareils ménagers électriques, un soutien financier à la culture du coton ou le soja et d’autres plantes agricoles, les paysans pourront prospérer chez eux plutôt que de gagner péniblement leur vie dans les villes.

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9 janvier 2008 3 09 /01 /janvier /2008 20:21

LOUIS BEAUCAIRE
LA VIE D'UN BON A RIEN DE BERVALIE

Cinquième épisode

Comment j’ai organisé une agression sexuelle pour la promotion de l’espéranto

"Mia onklino estas bona virino"
(Ma tante est une femme bonne)

(Fundamento de Esperanto, recueil d’exercices, §33)

Pendant le congrès de Vienne, le chef du gouvernement local s’adressa à l’assistance en espéranto. Aucune agence de presse nationale n’a mentionné cette très importante information, qui méritait d’être claironnée partout. Sale propagande, indigne et perverse ! Eh oui, je sais, « la critique est aisée, l’art est difficile ». Nous aurions besoin de quelques millions d’étoiles (1) pour faire paraître des annonces dans les journaux. Malheureusement, nous ne possédons pas ces millions. Que faire pour que les journalistes s’intéressent à l’espéranto ?
Les rédactions misent généralement sur le goût des lecteurs, ou plus souvent sur leurs bas instincts pour le sang et le sexe. Même « La Tour de lumière de Bervalie » ou « Les Nouvelles bervaliennes du soir » frappent toujours les yeux et les esprits par des titres en gros caractères :
- Un veuf a étranglé sa belle-mère avec les lacets de son corset.
- Révélations exclusives sur les « fêtes nocturnes » de la baronne.
- Elle tranche la gorge de son homme infidèle (« Sur notre photo on distingue une grande tache de sang au milieu du lit de la sacristaine meurtrière »)

Ah ! Le ciel veuille qu’à l’espéranto également les journalistes consacrent un jour un tel luxe typographique ! Le besoin d’articles à sensation ne donne évidemment pas aux camarades le droit de sacrifier trop souvent un président ou un secrétaire d’un groupe espérantiste, même si quelques-uns sont déjà caducs et facilement remplaçables. Non, non, nous ne devons pas suivre cette voie. « Ne al glavo sangon soifanta… » (2) En ruminant ces idées grises sur la difficulté d’avoir les faveurs de la presse, j’eus l’idée d’un petit scandale, sans risque pour qui que ce soit mais propre à attirer des journalistes. Je vais vous le raconter. Si vous-même voulez l’essayer dans votre ville, mon expérience vous aidera certainement à le mener à bien avec plus de réussite que moi.
 Si vous avez déjà visité notre ville, vous connaissez peut-être la Librairie espérantiste bervalienne, à l’angle de la rue Marjorie Boulton et de la rue Jean Forge, derrière la cathédrale Sainte Nitouche. Comme les espérantistes ne sont pas une population très portée sur la lecture, la Librairie espérantiste bervalienne, située dans ce quartier pauvre, ne paye pas de mine, mais la patronne, Mme Flora, est une belle femme de 30 ans, charmante, cultivée et sérieuse. La pauvre Mme Flora ne pouvait prévoir qu’elle jouerait un rôle important dans mon projet publicitaire.
Si on passe une coûteuse annonce disant, par exemple :
VISITEZ LA LIBRAIRIE ESPERANTISTE BERVALIENNE
personne n’y fait attention. Par contre, si on téléphone à des reporters :
« Venez tout de suite à la Librairie espérantiste bervalienne. Sa patronne vient juste d’être violée par un client », ils accourront tous, blocs-notes et polaroïds fin prêts, et, déjà dans les éditions du soir des gazettes locales, on aura gratuitement des articles publicitaires:
AGRESSION SEXUELLE DANS LA LIBRAIRIE ESPERANTISTE BERVALIENNE
« Un acte ignoble a été perpétré par un jeune homme non identifié sur notre concitoyenne Mme Flora, directrice de la célèbre Librairie espérantiste bervalienne, qui a consacré sa vie à la diffusion de cette admirable langue internationale, l’espéranto... »
(« Sur notre photo, Mme Flora, le corsage déchiré »)
Je vous en prie, ne vous pressez pas de me faire remarquer qu’une agression sexuelle est un crime presque aussi grave qu’un meurtre. D’abord, laissez-moi expliquer mon plan :
A) Mme Flora ne doit pas être violée, mais seulement sur le point de l’être. (3)
B) Mme Flora me connaît, car je suis un bon client de la Librairie espérantiste bervalienne. Il faut donc que je choisisse un futur violeur en puissance qui n’est pas du coin.
C) Je dois apparaître sur les lieux du pseudo-crime seulement comme un témoin accidentel qui sauve la victime potentielle, laisse à l’agresseur suffisamment de temps pour s’enfuir, téléphone à la police et fait du raffut pour rameuter les interviewers de la presse et de la télévision. Si quelque vrai client venait à entrer, cela ne gênerait pas. Au contraire. Cela ferait deux témoins. Mais comme vous le savez déjà, les espérantistes ne sont pas de grands lecteurs…
La partie la plus délicate de mon plan restait le point B).
Mais je fus assez chanceux, car juste à ce moment-là Jojo, un jeune camarade espérantiste de Borlando, me rendit visite, et qui comptait loger chez moi pendant quelques jours. L’affaire enthousiasma Jojo ; il se déclara prêt à participer à l’agression sexuelle publicitaire et, après avoir en étudié tous les détails, nous passâmes à l’action.
Le 7 juin à 10 heures, Jojo entra dans la librairie. Sur le trottoir, près de la cathédrale, j’attendais que la victime crie pour intervenir. Je ne pouvais me douter qu’un grain de sable paralyserait les rouages soigneusement graissés de notre plan.
Comme je l’appris de Jojo par la suite, le « grain de sable » pesait 230 livres et se trouvait être la tante de 56 ans de Mme Flora. Elle tenait provisoirement la librairie en remplacement de la nièce souffrante. En voyant le sourire de ses grosses lèvres, ombragé par une moustache noire, et le strabisme affable de la grassouillette personne, Jojo se dit que ma description de Mme Flora ne coïncidait pas totalement avec la réalité. Mais ce n’était pas l’heure d’une inutile cogitation. Le plan avant tout. Et, conformément aux directives, Jojo demanda :
- Madame, pourriez-vous me montrer le « Fundamento » ?
La monumentale tour de chair pivota lentement et se pencha sur une pile de poussiéreuses brochures. Jojo ferma les yeux devant les dimensions de son objectif. Mais, en murmurant : « En avant ! Pour l’espéranto ! », il posa selon le plan la main droite sur le vaste postérieur et libéra de la main gauche son engin de guerre. La tante n’avait pas senti depuis de nombreuses années un si agréable contact viril. Interrompant la recherche du « Fundamento », elle tourna vers le jeune client son regard double et dubitatif. Oui, à l’évidence, il avait envie d’elle. Elle ! Zamenhof a dit dans son « Recueil de proverbes » : «Saisis l’occasion par la tête, car la queue est glissante ».
Elle saisit donc brusquement la tête et fit disparaître la bouche masculine sous ses moustaches. Après quoi elle s’appuya le dos au comptoir et releva ses jupes avec une mine engageante.
 La lingerie démodée et les bas de coton, qui retenaient difficilement le frémissement de la cuisse gélatineuse, amenèrent Jojo à penser que, même pour l’espéranto, le don de soi était parfois excessif, et il regarda furtivement vers la porte, s’indignant de ce que les espérantistes ne soient effectivement pas de grands lecteurs. D’un œil, la tante observait sa tête, tandis que l’autre œil constatait une hésitation, y compris dans la partie glissante mentionnée par le proverbe. Du coude, elle fit disparaître du comptoir une pile de livres récemment livrés par l’UEA (4) (5) et, sans tenir compte de l’avertissement de Zamenhof, elle saisit l’occasion par la queue, trouvant justement sa glisse assez opportune. Jojo eut beau se débattre, la puissante tante le renversa sur le comptoir, hissa ses 230 livres à son niveau et veilla d’une main aidante à une jonction réussie dans le labyrinthe de ses jupons.
Pendant ce temps, faisant impatiemment les cent pas derrière Sainte Nitouche, j’attendais un cri de femme pour jouer mon rôle de témoin. A dix heures et quart, je décidai d’intervenir et, après avoir éteint ma cigarette, je traversai la rue et poussai la porte de la librairie.
 Devant le spectacle inattendu, je demeurai sur le seuil, le loquet dans la main et la stupéfaction dans les yeux. Au début, je ne vis pas Jojo. La totalité de la boutique était occupée par une blanche, gigantesque, menaçante et grasse paire d’imposantes fesses qui s’agitaient sur le comptoir. Sous cette montagne de chair frémissante, c’est à peine si l’on distinguait les jambes du jeune homme violenté, entravées au niveau des chevilles par son pantalon baissé, ainsi qu’écrasées sous un colossal mouvement de meulage et de concassage.
 Quand la monstrueuse cavalière commença de hennir et de ululer à gorge déployée, je fermai la porte et retournai chez moi en riant, éclatant de rire, me tenant le ventre à deux mains, le souffle coupé par mon hilarité, balbutiant à tous les passants étonnés qu’ils apprennent la langue internationale, source de bonheur.

Le soir même, Jojo reprit sa valise en m’insultant et en jurant que jamais il ne reviendrait en Bervalie.

Durant les semaines qui suivirent, avec des sentiments espérantistes pleins d’espoir, la tante de Mme Flora remplaça souvent sa nièce dans la librairie, et elle avait assurément raconté son aventure à des amies du même âge (« Je vous en fais la confidence, mais que ça reste entre nous »), car à dater de ce jour, les trois-quarts de notre groupe espérantiste se composèrent de vieilles filles.

1. Étoile, ou Stelo : ancienne monnaie fabriquée par jeu par certains espérantistes (ndt).
2. « Ne al glavo sangon soifanta… » - extrait de l’hymne de l’espéranto (ndt).
3. Pour les lecteurs ne connaissant pas les nuances du « Plena Gramatiko », ceci est seulement un « début d’action soutenue sans résultat ».
4. UEA : Universala Esperanta Asocio.
5. Tout à fait par hasard, il s’agissait de « Paŝoj al plena posedo ».
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3 novembre 2007 6 03 /11 /novembre /2007 22:35
LOUIS BEAUCAIRE
LA VIE D'UN BON A RIEN DE BERVALIE


Quatrième épisode

Comment j’ai sauvé le " Fundamento "

Une fois revenu de dîner dans mon restaurant habituel, je me libérai de ma cravate, enfilai mes pantoufles, passai mon négligé, puis, confortablement enfoncé dans mon fauteuil de célibataire, je me préparai, près d’une boîte de cigare et d’un petit verre de cognac, à la lecture de la " Revue Espéranto " que je venais de prendre dans ma boîte aux lettres.

Ayant déchiré le bandeau, je dépliai le journal, et je sursautai immédiatement devant le titre de l’éditorial : " Novoze perspektivi por Esperanto ". Diable ! Deux fautes d’impression en même temps ! Le poursuite de la lecture me rendit perplexe : " Karoze lektori, mu esper, ke vu ne e mekontente de nostre novoze Esperanto… "

Je me frottai les yeux. Je vérifiai la bouteille. Elle contenait réellement du bon cognac-VSOP. De même, mon cigare était fait de tabac de la Havane et non de haschisch. Dans la journée, je n’avais pas bu plus que d’habitude. Que signifiait donc cette plaisanterie ? J’éclatai de rire. Oui, bien sûr. Pourquoi donc n’y avais-je pas pensé plus tôt ? J’avais bien évidemment reçu la feuille de chou d’une secte idiste, occidentaliste, ou autre " nouveau-projetiste ". J’attrapai le bandeau dans la corbeille à papier. C’était le bandeau normal de la " Revue Espéranto ". Seul le sous-titre du journal avait un peu changé : " Oficialoze " organe du mouvement espérantiste ".

Je devais avoir une hallucination. Je me pinçai la cuisse et ressentis une légère douleur. Ce jour-là, dans mon bureau du ministère, j’avais résolu trois mots croisés au lieu de deux habituellement, mais cet effort cérébral supplémentaire eût-il pu causer une vision délirante ? Je me redressai et marchai de long en large dans ma chambre en essayant d’expliquer cet extravagant phénomène. Non, ceci n’est pas possible. Oui, ceci était possible. Je repris le journal et je pus constater que, de la première à la dernière page, il était entièrement rédigé dans ce nouveau, pardon, " novoze "espéranto.

Je consacrai toute mon attention à l’étude de l’éditorial. En raison de la compréhension immédiate (" instantanoze kompreivacion ") de la langue, je réalisai avec consternation que le rédacteur prônait à tous les camarades espérantistes l’abandon leur interprétation trop stricte du Fundamento et l’adoption de toutes les caractéristiques utilisables de l’adjuvant, du néo, du veltparl, de l’ido, du solresol, du volapük, etc., pour former une " harmonioze lingwo ". C’est ainsi que les brebis égarées reviendraient vers nous et que notre grande famille linguistique internationale pourrait mener notre affaire à la victoire finale.

C’est ce qu’avait écrit le rédacteur en chef Emile Pangloss ! Pangloss, l’inflexible puriste ! Pangloss, qui s’opposait avec intransigeance à chaque néologisme ! Pangloss, à qui on avait si souvent reproché son traditionalisme rigide ! Il considérait l’espéranto comme sa propriété et le défendait comme une tigresse, même contre les plus éminentes décisions de l’Académie.

Emile Pangloss était présent à la rencontre de notre club il y a quatre semaines et n’avait pas fait la moindre allusion à cette révolution linguistique. En raison de l’heure tardive, je ne pouvais téléphoner à d’autres espérantistes, et je me mis au lit avec la bouche et le cœur emplis d’amertume. Mon sommeil fut perturbé par des rêves terrifiants : je me tordais dans les flammes d’un bûcher autour duquel Pangloss et Beaufront dansaient la sarabande comme des diables. Ils vociféraient : " Vu e frenezoze – Vu e idiotoze – Merdoze fekator… "

Le lendemain matin, je décidai de clarifier immédiatement cette histoire. Je téléphonai à mon chef de bureau pour lui dire que je souffrais d’une sévère constipation. Et, sacrifiant mes mots croisés ministériels, je me ruai à la rédaction de la " Revue Espéranto ". Je tombai sur la secrétaire, appliquée à sa manucure. En me voyant me précipiter vers le bureau d’Emile Pangloss, elle cria que monsieur le rédacteur en chef avait interdit qu’on le dérange de quelque manière que ce soit. Il était justement penché en ce moment même sur un problème important.

Je repoussai rageusement le cerbère et lui conseillai de s’occuper de ses ongles et pas de mes affaires. Je frappai à la porte et entrai sans attendre dans le saint des saints de la " Revue Espéranto ". Pangloss était effectivement penché, car je ne vis tout d’abord que le dôme lisse et brillant de son crâne d’intellectuel. Il se redressa brusquement, et je découvris que le " problème important", couché sur le bureau, possédait deux superbes cuisses féminines dénudées jusqu’à l’ombilic. Le " problème important ", laissant échapper un petit cri d'effroi, sauta par terre, rajusta sa jupe, remit de l’ordre dans ses boucles noires en les tapotant et sortit du bureau avec la mine d’une reine offensée. Pangloss cria : " Aline, Aline ! ", mais elle claqua la porte sans l’attendre. Il se tourna alors vers moi et siffla :

- Ko vu faris ? Ha ! mizerabloze…

- Taisez-vous, monsieur Pangloss. Maintenant, dites-moi en espéranto normal ce que signifie cet infâme torchon que vous avez l’audace de continuer à appeler " Revue Espéranto ".

J’agitai sous son nez de façon menaçante le dernier numéro du " oficialoze organo ". Il essaya de se défendre :

- Ko vu vol ? Proponer a mi denove porkoze artikoli ?

J’attrapai le vieillard par les épaules, le secouai comme un cocotier, le laissai tomber dans son fauteuil professionnel et le grondai tellement qu’il se mit à pleurer comme un enfant de six ans. Je pris sur son bureau le voile arachnéen bleu pastel en forme de culotte, abandonné par Aline, et le jetai à Pangloss.

- Pépère, nettoie ton nez, ferme ta fermeture éclair, cesse de gémir et dis-moi, pas dans ton jargon de carnaval mais en espéranto classique, quelle mouche t’a piqué. Allez, Emile, hop !

D’une petite voix monocorde, il débuta sa confession. Aline était apparue à la rédaction deux mois auparavant.

- Oui, camarade, comme un ange du ciel.

Et Emile Pangloss, le vieux célibataire, qui jusqu’alors ne s’intéressait ni aux anges ni aux femmes, tomba amoureux d’elle avec la ferveur d’un adolescent.

- Ah ! Si vous la connaissiez. Elle est non seulement très belle, mais tellement intelligente ! Par exemple, elle m’a suggéré quelques menus changements dans la langue internationale, qui sont vraiment des traits de génie. Zamenhof lui-même n’a pas pensé à ces admirables et subtiles possibilités. Ah ! Aline, Aline, déesse de l’art grammatical !

- Pangloss, est-ce que maintenant vous crachez sur le Fundamento ? Votre Aline n’est pas notre Académie. Que dira le président de l’académie de votre ratage ? De votre mauvais usage de la " Revue Espéranto " ?

- Il y a quelques jours, le président de l’Académie m’a téléphoné en me disant qu’il avait la même opinion que moi sur les petits changements…

- Impossible ! Je vais aller le voir sur-le-champ. J’espère qu’entre-temps, le peuple vert en colère ne détruira pas par le feu votre lieu de perdition puant.

Je revissai mon chapeau sur la tête et, avant de sortir, ricanai devant le très déprimé Monsieur le rédacteur en chef : " Kretenoze skribaĉator ! " (1)

Un mille seulement après la rédaction, l’imposante silhouette de l’Académie m’apaisa rien que par sa rassurante architecture classique. Derrière les colonnes élancées, dans les bras puissants des bienveillantes cariatides, sous la fière inscription du fronton "UN PEUPLE UNE LANGUE", notre espéranto pouvait reposer en paix : il ne lui arriverait rien. Ah ! Le président de l’Académie rira de bon coeur quand je lui raconterai les enfantillages de notre vieux croûton de Pangloss. On nommera un nouveau rédacteur, et ce premier numéro de la " Revue Espéranto " restera dans notre longue histoire comme une plaisanterie orchestrée par Raymond Schwartz.

Un vieil appariteur de l’Académie, que Zamenhof avait fait sauter sur ses genoux au congrès de Boulogne, me rappela à quel l’étage et dans quel couloir se trouvait le bureau du président.

- Adressez-vous à sa secrétaire.

La secrétaire était peut-être aux toilettes, car l’antichambre était vide. La porte de la présidence était seulement entrouverte et, par l’entrebâillement, le gloussement d’un rire féminin chatouilla mes oreilles et ma curiosité. Je jetai un œil comme un voleur, et après deux secondes, voilà ce que je distinguai : Aline, oui, Aline, la déesse de la Grammaire, était assise sur le bureau de M. le Pr Dr Lavoie, dont le visage écarlate annonçait l’imminence d’une apoplexie. Elle tiraillait facétieusement sa barbe et décoiffait ses sept cheveux.

- Alors, dikoze akademokator, ko vu dir a vostre amoroze Aline ?

- Ah ! Aline, ma petite poupée, ma muse, mon aimée, tu es belle…

- Beloze !

- Oui, beloze. Vu e beloze.

Avez-vous entendu ? " Vu e beloze " dans la bouche de l’éminent gardien du Fundamento ! Sous le toit sacré du temple consacré aux Seize règles !

En plein désarroi, je ne voulais pas entendre d’autres bredouillements sacrilèges du pitoyable M. Pr. Dr. Lavoie, et je m’enfuis de l’Académie sous les yeux étonnés du bébé boulonnais barbu.

Sur le trottoir d’en face, le café " Aux Frères " m’accueillit cordialement. J’engloutis trois verres à liqueur d’eau-de-vie de mirabelle et je sentis bientôt mes idées se remettre en place. Comme un chef d’état-major prussien, je préparai une contre-attaque. Premièrement, je neutralise nos autorités superflues. Aussi, je téléphonai à mon ami Ernest, le tenancier de bordel de la rue du Port, qu’il détachât immédiatement ses plus convenables expertes à Pangloss et Lavoie. Quand les besoins des vieilles glandes seraient satisfaits, les croulants ne penseront plus à Aline.

Au sujet d’Aline, je m’étais creusé la cervelle jusqu’au septième verre de mirabelle, quand, à travers la vitre, je la vis sortir de l’Académie en trottinant. Je payai rapidement et commençai à la suivre. Nous ne marchâmes pas longtemps l’un derrière l’autre, car elle disparut bientôt dans une maison, où près de la porte resplendissait une arrogante enseigne en français et en anglais : " Centre européen du bilinguisme ".

La lumière se fit dans mon esprit. Par la barbe du Maître ! Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Aline était tout simplement un agent de l’ennemi. Redoutant la victoire de l’espéranto, les " bilinguistes " nous l’avaient envoyée comme un ver dans un camembert mûr. " Où le Diable ne peut aller, une femme il tâche d’y mander ". " Un sourire féminin capture mieux qu’un filet ". Et Aline ne s’était pas seulement contentée de sourire, pour faire tomber nos éminences dans ses filets. Ah ! Par la jarretelle de Mata Hari ! Il fallait que je mobilise immédiatement toutes mes forces contre cette dangereuse démoralisatrice. Je fis patiemment le siège de la forteresse du bilinguisme, où derrière ses murailles Aline faisait vraisemblablement à ses chefs le rapport sur sa campagne, et recevait peut-être des ordres pour les suivantes. Je faisais les cent pas, ruminant ma vengeance et préparant contre Aline mon plan secret N°17 (2). Vous serez peut-être étonnés d’apprendre que ce plan N°17 me permet , après un flirt éclair, de capturer n’importe quelle femme dans mon lit. C’est le destin qui attendait Aline à sa sortie du Centre du bilinguisme. Et mon attaque fut d’autant plus facile qu’elle n’était plus protégée par la très petite culotte oubliée chez Pangloss.

Après vingt minutes, dans mon logement de célibataire, tandis que je vidais tranquillement un verre de cognac, Aline s’approcha de mon fauteuil, pensant qu’elle pourrait moi aussi m’impressionner de son postérieur nu et rebondi.

- Nu, vu e amorozo ? Vu…

Je l’interrompis par des claques sur la peau de ses délicates fesses : clac clac ! Elle écarquilla les yeux :

- Ko vu far ?

- Répète : que fais-tu ?

Clac clac !

Elle sanglota :

- Que fais-tu ?

- Je t’enseigne l’espéranto classique selon une méthode privilégiée.

- Privilégiée ? Vu e brutaloze…

Clac clac !

- Répète : tu es une brute.

- Aïe, aïe ! Tu es une brute.

Après l’exécution du plan N°17, j’appliquai le plan N°4, qui prévoit un traitement plus humain de la femme conquise. Un souper improvisé fut suivi d’une agréable nuit, pendant laquelle je reprochai doucement à l’agent secret son travail subversif, tout en la ramenant sur la vraie voie du Fundamento au moyen du manuel Cseh-cours, revisité et complété :

- Qu’est-ce que c’est ?

- C’est mon sein droit.

- Est-ce que ceci est la queue du chat ?

- Non, une queue de chat n’est pas aussi rigide.

Etc., etc.

Aline était une élève assidue, et plusieurs fois dans la nuit elle exprima son plaisir par des onomatopées du plus pur espéranto (3).

Après le petit déjeuner, Aline, en fermant son soutien-gorge, me promit de revenir bientôt à mon cours privé de perfectionnement et de contrecarrer la mauvaise influence des " bilinguistes ". Elle balbutia entre deux baisers :

- Mon chéri, je ne peux pas comprendre de quelle façon ils m’ont envoûtée pour m’obliger à une aussi basse manœuvre contre la langue internationale. Dorénavant, je me battrai pour la bonne cause.

Dix jours plus tard, dans mon bureau du ministère, je sus que ma victoire était définitive lorsque je lus dans " Le Hérault de Bervalie " cette importante nouvelle : " Le centre européen du bilinguisme recommande à tous ses membres l’adoption de l’espéranto ".

Avec un soupir de soulagement, je me rendis à la page 7, où m’attendait le premier mot croisé de la journée, et murmurai en suçant mon crayon :

- Aline, bravoze Aline.

__________
1. "Crétin d'écrivaillon!"

2. Je ne peux ici, par manque de place et de temps, expliquer les 34 manières de séduire une femme. Je les traite en détail dans mon ouvrage "Sentakta taktiko" (tactique sans tact) à paraître dans la série " Orient-Occident " et destinée à remplacer quelque peu vieillissant "Art de l’amour" de Ovide.

3. Rrrrrr !

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15 octobre 2007 1 15 /10 /octobre /2007 18:22

 

LOUIS BEAUCAIRE
LA VIE D'UN BON A RIEN DE BERVALIE


Troisième épisode :

Comment je devins cofondateur de l'UEA (1)

Ce jour-là, assis dans le grand salon du "Mimosa sensitif", je faisais tranquillement tinter deux glaçons dans mon verre d'apéritif de la main gauche, tandis que la droite reposait confortablement sur le large et accueillant postérieur de ma voisine Tina. Nous observions tous deux une petite scène qui avait lieu dans le salon entre un marin chinois et la rousse Zora. En usant d'un mélange de trois pidgins et en mimant l'introduction à la main d'une nourriture imaginaire dans sa bouche qui mâchonnait, il essayait de lui faire comprendre qu'il désirait goûter à son entrecuisse.

En tant que putain experte, Zora acceptait habituellement toutes sortes de caprices de ses invités d'une heure. Mais cette fois-ci, elle refusait de satisfaire son vorace client, au motif que sa chair intime ne supporterait pas des baguettes. Elle avait effectivement lu que les Chinois utilisent toujours des baguettes pour manger… Une dispute commença : Zora secouait obstinément la tête, ne comprenant pas les explications baragouinées par le Chinois. Et, quand il lui prit le bras pour la traîner vers la chambre, elle se mit à glapir et à se débattre, brisant deux verres. Mon ami Ernest entra. Ne sachant pas de quoi il retournait, il saisit immédiatement par le col le Chinois protestant* et, avant que j'aie pu intervenir, le jeta dehors. Puis il déclara tout haut que le "Mimosa sensitif" était un bordel de bonne tenue et qu'il ne tolérait pas de désordre dans son établissement.

Quand Ernest s'assit à côté de nous, posant sa main patronale sur la fesse libre de Tina, je lui expliquai que ce dernier et regrettable incident avait été à nouveau causé par les barrières linguistiques entre les peuples. Je profitai de l'occasion pour prôner la langue internationale :

- Ernest, réfléchis: si Zora et le client chinois avaient parlé espéranto, maintenant elle serait en train de gagner sans effort un peu plus d'argent, et votre hôte, satisfait, vanterait les charmes du "Mimosa sensitif" jusqu'au fin fond de l'Asie.

En silence, Ernest repoussa son chapeau en arrière, acquiesçant de la tête, et, quand je lui décrivis la douleur du jeune Zamenhof devant la discorde qui régnait à Bialystok entre les différentes communautés linguistiques, mon accent se fit si convaincant, si ardent que l'Ernest au cœur dur ne put empêcher une larme de briller au bord de son œil gauche. La victoire était proche.

- Ernest, organise un cours d'espéranto dans le "Mimosa sensitif".

Pour montrer son accord, le patron de bordel demanda une bouteille de champagne et déclara que ce soir j'aurai le droit de jouir des charmes de Tina aux frais de la maison.

Deux jours plus tard, je commençai à enseigner aux pensionnaires du "Mimosa sensitif". Je regrette que les clients du soir n'aient pu voir le grand salon transformé chaque matin en salle de classe pour le cours obligatoire. Même Ernest apprit avec application les seize règles du "Fundamento". Il ne rata pas une leçon et il put bientôt accrocher à côté de sa porte une belle enseigne de cuivre : "Espéranto parlé".

La nouvelle circula parmi les groupes espérantistes de la région bervalienne, et tous les sympathisants mâles voulurent connaître le premier bordel au monde où les prostituées babillaient officiellement dans la langue internationale. Beaucoup de non-espérantistes, ne comprenant pas la signification de l'enseigne, crurent qu'il s'agissait d'une nouvelle spécialité dépravée du "Mimosa sensitif" et entrèrent pour l'essayer. Tina, Zora, Meta, Kalina et leurs collègues firent avec ferveur l'éducation de ces clients, et presque tous décidèrent ensuite d'apprendre l'espéranto.

L'entreprise d'Ernest prospéra tellement qu'il parla de ce succès au congrès des patrons de bordel à Hambourg. Plusieurs collègues de Hong-Kong, San-Francisco, Marseille, Rio-de-Janeiro et d'autres villes portuaires introduisirent aussitôt ce merveilleux outil dans leurs magasins de voluptés. Deux ou trois écrivirent à Ernest pour lui demander des conseils.

A ce moment-là, je sentis le besoin de mettre en relation les verts lieux de débauche, et, avec Ernest, j’élaborai les statuts d’une nouvelle société, l’Union Espérantiste des Amours tarifées, en abrégé UEA (2). Notre entreprise fut rapidement couronnée d’un grand succès, preuve que nous répondions à un besoin urgent de l’humanité. Jusqu’à présent, les malheureux voyageurs, marins, commerçants, missionnaires, congressistes, aviateurs, journalistes, qui voyageaient à travers le monde, devaient se contenter de rencontres hasardeuses, s’abandonner à de viles prostituées qui les exploitaient sans vergogne, s’en remettre aveuglement à des conseils d’étrangers ou à de stupides coutumes, et pour cette raison devaient souvent connaître un fiasco, comme le Chinois au début de mon récit.

Par la suite, la vie sexuelle au-delà des frontières fut facilitée au maximum grâce à l’UEA. Dans nos annuaires, on pouvait trouver les adresses de 123 maisons closes espérantistes de 17 pays différents. Pour chaque adresse étaient mentionnés les prix et les spécialités (sexuelles, naturellement) des pensionnaires. Nos maisons étaient ouvertes à tous, mais la carte de membre de l’UEA autorisait à demander un rabais de 30%. Pour acquérir ce privilège, les hommes adhéraient toujours plus nombreux à l’UEA.

L’UEA rendit également un grand service au mouvement espérantiste. Elle s’occupait, par exemple, de la partie loisirs des congrès espérantistes. Deux ou trois tenanciers de bordels du pays concerné étaient chaque année mandatés pour déléguer au congrès une quantité définie de putes, qui se chargeaient en expertes de distraire les célibataires désœuvrés ou les autres malheureux solitaires. Avez-vous remarqué, l’an dernier, que bien plus d’hommes que d’habitude étaient présents au congrès universel ? Et que, tandis que seules des femmes priaient à l’office international (avec un prêche en espéranto), les hommes préféraient généralement se promener dans les parcs ombragés ou simplement se reposer dans leurs chambres d’hôtels ? Les statisticiens attribuent ce phénomène au rabais de 20% pendant le congrès, qui s’ajoutait au rabais habituel de 30%.

Et que dire de l’aide apportée aux nombreuses apprenantes qui auparavant ne savaient comment utiliser après le cours leurs connaissances linguistiques? Maintenant, elles pouvaient confier leur sort à notre société, et, après un voyage au Liban ou en Amérique du Sud, nous leur fournissions logement, nourriture, argent et une activité idéale au service de l’Humanité. C’est quand même plus attirant que lécher de vieux timbres-postes pour les coller dans un album poussiéreux.

Notre UEA prospérait donc toujours, quand un incident, à première vue anodin, fit trembler les fondations de notre organisation et nous imposa quelques réformes des statuts. Un après-midi de mai, tout un groupe de marins étatsuniens débarqua à Rotterdam. Après la visite de plusieurs débits de boissons, ils passèrent par hasard à côté d’un bâtiment portant notre sigle. Pensant que cette maison était un nouvel établissement de plaisir non encore mentionné dans le dernier annuaire, ils entrèrent sur-le-champ et, présentant leurs cartes de l’UEA, réclamèrent du whisky et des filles de joie avec un rabais de 30%. Lorsqu’on leur refusa cela, ils se conduisirent scandaleusement, beuglant qu’ils se plaindraient de cette ignoble escroquerie au bureau central de l’UEA en Bervalie. Après quoi, en cherchant dans les chambres quelques femmes utilisables d’une quelconque manière, ils trouvèrent finalement une nouvelle et jeune dactylo, qu’ils violentèrent sur sa table de travail, abîmant ainsi une machine à écrire presque toute neuve.

Cet incident consternant montra soudain que nous n’avions pas choisi avec suffisamment d’attention le nom de notre société. Il existait deux UEA : une qui végétait à Rotterdam et une qui prospérait en Bervalie. Parce que l’autre, malgré son insignifiance, avait été fondée avant la nôtre, nous renonçâmes noblement à l’arbitrage de la cour internationale de La Hague. D’ailleurs, cette UEA de Rotterdam ne pouvait nous faire concurrence, parce qu’elle s’occupait seulement des besoins neutres (?) de l’Humanité.

Notre fortune honnêtement acquise nous permit de prendre tous les frais à notre charge. Nous achetâmes à la dactylo une nouvelle culotte verte réglementaire, à l’UEA une nouvelle machine à écrire avec des signes diacritiques, et l’entrée du "Mimosa sensitif" s’orne maintenant de nouvelles lettres éclairées au néon qui remplacent l’ancien sigle. En effet, nous déclarâmes à notre notaire que, afin d’éviter tout malentendu, notre société s’appellerait désormais "Société d'Accouplement Transnational" (3).


1. NDT : Ce chapitre est basé sur la similitude des acronymes fictifs du récit avec ceux de deux associations réelles, et toujours actives.

* A la vérité, il était bouddhiste (note destinée à tous ceux qui apprécient les mauvais jeux de mots)

2. U.E.A. - Universala Esperanto Asocio (Association mondiale d’espéranto)

3. S.A.T. - Sennacieca Asocio tutmonda (Association mondiale anationale)

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14 septembre 2007 5 14 /09 /septembre /2007 13:41
Présentation (note du traducteur)

Ce texte traite sous forme humoristique d'une question réelle en espéranto, celle de l'introduction de nouveaux mots ou, plus exactement, de nouvelle racines. La majorité des locuteurs penche pour une utilisation maximale des radicaux existants et des possibilités combinatoires et de dérivation, les racines nouvelles n'étant alors acceptées qu'en fonction de leur utilité réelle. Un exemple parmi d'autres : "ordinatoro" versus "komputilo" (suffixe "-ilo" des outils).

Anatomie simplifiée

de Raymond Schwartz (1894-1973) ("La ĝoja podio", Paris, 1949)
(traduit de l'espéranto)


L'an dernier, durant mon temps libre, dans la ravissante petite ville de Grande-Andouille, j'eus l'occasion de rencontrer mon ami Jacques Pommefrite, espérantiste de toujours. Et déjà, durant l'échange des habituelles et quasi-rituelles banalités, je pus constater chez Pommefrite une grande hostilité envers les néologismes. En soi, une telle constatation n'avait rien d'une surprise. Il existe bien aujourd'hui de nombreuses personnes, et même parfois des personnes normales, qui n'apprécient pas les mots nouveaux. Mais Jacques Pommefrite, d'après moi, "tirait sur la ficelle" un peu beaucoup, prétendant que le premier et le plus dangereux faiseur de néologismes était… Zamenhof lui-même !

 - Impossible, - décréta-t-il, - de dénombrer dans notre "Fundamento" tous les radicaux qui représentent seulement pour notre langue d'inutiles lourdeurs. Tiens, par exemple, ce "bretelle" d'aspect misérable ! Est-ce qu'un honnête "pince-pantalon" ne suffirait pas pleinement pour répondre à toutes les exigences de la morale et de la bonne éducation ? Mais viens donc avec moi à la rencontre du groupe de Grande-Andouille, où, aujourd'hui, je parlerai du corps humain !

Et je m'y rendis, et j'entendis.

- Mesdames et Messieurs, le corps humain est fait de trois parties. La première est la tête, sur le toit de laquelle poussent les fils-de-tête, parfois également appelés, à juste titre, forêt-à-poux. Pour cacher ou décorer les fils-de-tête, on met un couvreur-de-tête, qui joue également le rôle d'appareil-à-salut. Sur la façade-tête se trouvent deux regardeurs. Entre eux, se trouve le renifleur, qui - plus particulièrement durant les mois d'hiver - se transforme en une source-à-mucus. Sous la source-à-mucus s'ouvre le trou-à-manger, qu'encadrent deux bords-de-trou-à-manger. Très souvent, le bord-de-trou supérieur de l'homme mûr s'orne d'un filtre brossoïde, dont la principale utilité semble être d'empêcher que les vermicelles et leurs semblables ne disparaissent trop rapidement dans le trou-à-manger. Chez les charmantes demoiselles et les jeunes épouses, ces bords-de-trou-à-manger se nomment généralement des coussins-à-baisers.

Si nous entrons dans le trou-à-manger, nous voyons qu'il contient beaucoup de masticateurs - jusqu'à 32 - et un ordonnateur. L'ordonnateur veille non seulement à une juste répartition du travail de mastication, mais aussi au nettoyage des masticateurs et à l'expulsion, plus ou moins bruyante, d'éventuels gêneurs. Cet ordonnateur est ainsi très occupé et reste presque toujours à la maison. Il sort uniquement en de solennelles occasions et, même alors, seulement pour une courte durée.

Des deux côtés de la tête poussent les feuilles-de-tête, encore appelées écouteurs, dont le rôle pendant les jeunes années du petit de l'homme est essentiellement pédagogique. Pendant cette période ils sont également appelés "chair-à-pincer". Par la suite, ils empêchent l'appareil-à-salut de couvrir toute la tête.

Entre la tête et le buste se trouve le tube-à-cravate, qui est en quelque sorte un canal entre le trou-à-manger et le bocal-à-digérer. Des deux côtés du buste pendent les perches-à-signaux, aux extrémités desquelles s'agitent sans cesse les pinces universelles. Au centre du buste se cache modestement le nid à poussière, dont l'utilité est toute relative.

Pour se déplacer, l'homme possède deux perches-à-marcher, qui paraissent être des prolongements naturels de la chair-à-s'asseoir. De plus, les perches-à-marcher ont encore un autre rôle : chez les hommes, elles donnent une certaine rigidité au pantalon, tandis que chez les éléments féminins, elles confirment à cent pour cent le proverbe arabe qui affirme que "la beauté des bas de soie dépend du contenu".

L' extrémité de la perche-à-marcher se nomme chair-à-chaussure, ainsi appelée parce que c'est elle qui remplit la chaussure. Grâce à sa chair-à-chaussure, l'homme peut se tenir debout. Et maintenant, vous pouvez à-la-maison-aller.


Est-il nécessaire de dire que le système de Jacques Pommefrite ne m'a aucunement convaincu ?

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28 août 2007 2 28 /08 /août /2007 15:05
LOUIS BEAUCAIRE

LA VIE D'UN BON A RIEN DE BERVALIE


Deuxième épisode : 
Comment je donnai naissance à des espérantistes

Quand un satiriste a un jour appelé le président de notre mouvement "le pape de l'espéranto", beaucoup de collègues espérantistes crurent voir dans ce surnom quelque allusion à son caractère autoritaire, à son refus de toute discussion, à son ton professoral… Pas du tout. Ce n'est pas pour cela, mais pour une autre raison qu'on l'a comparé au chef du Vatican, Paul VI. Que je rétablisse ainsi la vérité aidera les futurs historiens de l'espéranto, du moins s'ils prennent la peine de lire ma modeste contribution.

Toute l'affaire débuta en 1947. A cette époque-là, dans notre groupe estudiantin, je réfléchissais avec quelques camarades à la façon dont nous pourrions donner au mouvement une impulsion décisive. Les discours de propagande ou la distribution de prospectus dans la rue ne nous avaient apporté jusqu'à présent que de cruelles désillusions. Un soir, nous eûmes une soudaine illumination en lisant un article sur les "espérantistes natifs".

L'analyse structurelle du mot "natif" nous conduisit logiquement à une irréfutable conclusion : pour avoir des "espérantistes natifs", il faut d'abord leur donner naissance. Et pour donner naissance à un espérantiste, il est nécessaire et suffisant de féconder une espérantiste. Comment personne n'avait trouvé ça plus tôt ?

Au cours de longues soirées, nous élaborâmes un plan sur cinq ans, et nous nous préparâmes à notre tâche "d'engendreurs". Effectivement, nous n'avions pas le droit de nous contenter de seulement inciter les pères espérantistes déjà existants à la multiplication permanente de leur progéniture. Nous devions également offrir nos propres personnes à ce noble but, en nous consacrant principalement à l'insémination des camarades espérantistes célibataires. Si quelqu'un avait encore besoin d'une preuve du sérieux de notre entreprise, qu'il sache, par exemple, que nous avions éliminé de notre cercle un pédéraste, parce qu'il n'eût pas rempli sa fonction "d'engendreur" avec l'enthousiasme requis. Comme exemple supplémentaire, je citerai un extrait du serment par lequel nous nous engageâmes solennellement à accomplir notre travail de Titan :

- Je jure de ne pas gaspiller mes forces avec des femmes non-espérantistes, et d'en réserver la totalité pour la croissance de notre mouvement (Art. 3).

- Je jure de me consacrer totalement à la camarade espérantiste désignée par tirage au sort, sans me plaindre de son âge ou d'une éventuelle disgrâce, ne considérant que sa fécondité (Art. 7).

Oh! Notre tâche n'était pas facile, et il nous fallut toute notre ferveur juvénile pour réaliser notre plan. Tout d'abord, nous nous attaquâmes à nos deux clubs bervaliens. Chaque "engendreur" avait le droit de choisir lui-même la méthode, la tactique et la fréquence de ses rapprochements avec la verte demoiselle choisie par le sort.

Le point principal, c'était de lui faire promettre pendant leur union qu'avec l'enfant à venir, elle parlerait seulement la langue internationale. Ainsi, nous pouvions fabriquer non seulement des espérantistes "de naissance", mais aussi "de conception".

Au début, je fus chanceux, car le sort m'avait attribué une jeune femme dont le mari, d'un âge avancé, ne pouvait plus atteindre un résultat conforme à notre règlement. Elle ne résista pas longtemps à ma cour assidue, et, par la suite, participa activement pour faire progresser le mouvement. Et après quelques mois, son mari put joyeusement s'émerveiller que ses faibles petits gigotements aient aussi joliment arrondi son ventre.

Cependant, mon ami Pierrot fut le plus rapide de nous tous, car exactement neuf mois après le début de notre campagne en faveur des naissances, sa partenaire provisoire accouchait d'un beau bébé.

Quand notre groupe apprit la nouvelle, chacun des étudiants présents se leva et entonna l'hymne les larmes aux yeux. Nous appréciâmes d'autant plus les mérites de Pierrot, que la maman était mademoiselle Berta, la secrétaire du cercle biblique âgée de 65 ans. Elle s'était laissé séduire, mais seulement après que notre collègue lui eut cité l'exemple de Sarah, qui donna un fils à Abraham dans sa 90e année.

Quelques mois plus tard, nous organisâmes des expéditions missionnaires vers d'autres villes. Là, nous avons ensemencé de nouveaux terrains, mais aussi recruté des disciples qui nous aidèrent à propager notre méthode révolutionnaire. Le milieu le plus favorable à notre apostolat, c'était naturellement les congrès, qu'ils fussent nationaux ou internationaux. Le champ d'action était vaste pendant les congrès, mais la durée limitée de ces rencontres ne nous permettait pas d'organiser une répartition systématique des tâches physiques. Les "engendreurs" se laissèrent donc guider par leur esprit d'initiative, et les générations futures devront reconnaître notre dévouement sans limite, qui nous fit renoncer au meilleur du congrès pour courir d'une institutrice japonaise à la femme d'un académicien, et d'une végétarienne osseuse à une croyante bahaï de Nouvelle-Zélande. Et nous fûmes encore plus sur la brèche durant l'après-congrès.

Heureusement, le nombre des auxiliaires augmenta, qui en divers pays prirent sur eux la noble tâche d'engendrer de nouveaux espérantistes. Notre organisation spécialisée s'affilia au mouvement mondial, et dans son organe "Seksperanto" apparurent statistiques, conseils et directives pour coordonner le travail de nos membres et éviter que les "engendreurs" n'ensemencent inutilement une terre déjà ensemencée.

Oh ! Comme nous étions fiers du résultat de notre fertile travail…

Vous rappelez-vous l'atmosphère d'amour qui à cette époque avait envahi toutes les couches du mouvement ? Vous n'avez alors vraisemblablement pas prêté attention à certains détails, mais reprenez de vieux journaux et regardez la photo officielle des congrès d'Almelo, d'Opole ou d'Olinda. Est-ce que vous remarquez, combien de congressistes étaient enceintes ? Grâce à nous ! Et cinq ans plus tard, tous les journaux soulignèrent que jamais auparavant on n'avait vu autant de participants aux mini-congrès pour enfants qu'à celui de Paris. Grâce à nous !

Nous étions sur la bonne voie. Nous savions que nous sortions l'organisation espérantiste de sa longue stagnation, et que bientôt nous toucherions au but, submergeant l'ONU et l'UNESCO sous notre nombre.

Hélas! Catastrophe! De même que la première guerre mondiale fut un terrible coup porté à l'idée d'une langue internationale, notre action procréatrice fut mortellement touchée par une invention diabolique, qui, en quelques années seulement, se répandit parmi les femmes du monde entier: la pilule contraceptive! Notre entreprise devenait sans but, notre serment absurde, notre action était terminée, l'Ordre de chevalerie des Engendreurs - anéanti. Avant de disparaître, notre organe "Seksperanto" conseilla à ses lecteurs de s'abonner à la gazette "Des Graines dans le vent"…

Quand le pape Paul VI partit en guerre contre la maudite pilule, nous espérâmes pouvoir poursuivre notre action, au moins dans le milieu catholique. Malheureusement, les pieuses, comme toutes les femmes, se mirent aussi à faire l'amour seulement par plaisir, ne se préoccupant plus comme avant de catholiques natifs. Nous attirâmes l'attention du président du mouvement espérantiste sur l'avenir gravement compromis de la langue internationale. Immédiatement, dans des articles de journaux et dans la préface de l'annuaire, il jeta l'anathème sur ces espérantistes qui utilisent la pilule. Hélas! Excepté quelques lettres de fabricants de pilules qui nous remerciaient pour la publicité gratuite, le seul résultat fut qu'un médiocre humoriste appela notre président "le pape de l'espéranto". Fi!
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3 août 2007 5 03 /08 /août /2007 23:33

LOUIS BEAUCAIRE

 

LA VIE D'UN BON A RIEN DE BERVALIE

Des épisodes coquins


(Version originale en espéranto, traduit par Krokodilo)

 

Soyons gais, profitons bien de la vie, car la vie n'est pas longue.

(Fundamento de Esperanto, manuel d'exercices, § 20)

 

Édition originale La Laguna

 

Premier épisode :
Comment j'ai été un fervent "espérantiste", sans connaître un mot d'espéranto

 

On n'oublie pas facilement son premier amour

(Fundamento de Esperanto, § 18)


Avant la dernière guerre mondiale, alors que j'avais 16 ans, je tombai amoureux d'une belle voisine. Une affaire difficile : je n'avais pas une grande expérience des femmes, et, en outre, elle était la femme de Ramsès, mon professeur de physique. Naturellement, Ramsès était seulement un surnom que mes camarades de lycée lui avaient donné à cause de sa ressemblance avec la momie égyptienne illustrant notre livre d'histoire.

La femme de Ramsès, beaucoup plus jeune que lui, n'avait rien de commun avec une momie. Au contraire. Quand je la croisais dans l'escalier ou dans la rue, la générosité de ses profonds décolletés, le galbe de ses jambes, l'engageant balancement de ses hanches desséchaient mon cœur et battaient la chamade de ma bouche, ou plus exactement… Mais, comme vous voyez, encore aujourd'hui je suis troublé quand je pense à Léa. Elle s'appelait Léa. Ha ! Les cheveux blonds de Léa, ses yeux, son parfum !

Nous nous saluions courtoisement, en bons voisins, mais son "Bonjour, monsieur" résonnait de longues heures dans ma tête comme une musique céleste. Et, rêvant de son sourire, de son regard gourmand, de sa voix mélodieuse, je célébrais la déesse Léa dans des odes enflammées que je cachais ensuite entre les pages de mon dictionnaire latin.

Un jour, après être resté quelques jours à la maison à cause d'une petite grippe, je fus envoyé par ma mère acheter diverses choses - elle affirmait qu'une petite marche à l'air frais favoriserait mon rétablissement. En revenant, je tombai sur la belle femme de Ramsès devant notre domicile, et je montai l'escalier derrière elle, les yeux fixés sur la couture de ses bas de soie. Sous la légère robe de printemps se dessinaient nettement les contours de sa petite culotte. J'amassai donc du regard une réserve entière de bonheur pour mes prochains rêves, quand les belles jambes s'arrêtèrent brusquement devant sa porte. Je me dirigeai déjà vers notre étage, au-dessus, quand elle tourna vers moi son visage d'ange et demanda :

- Monsieur, est-ce que vous auriez quelques minutes, pour m'aider ? Je n'arrive pas à suspendre seule un nouveau rideau.

Je balbutiai, la gorge serrée :

- Oui, madame. Bien sûr, je peux vous aider.

Je la suivis dans son logement où flottaient des effluves de son parfum capiteux. Quelques livres sur une étagère dans le couloir me rappelèrent Ramsès, qui en ce moment même faisait cours à mes camarades. Mais je chassai immédiatement de mon esprit les connaissances en physique nécessaires à un futur bachelier, pour me consacrer à la physique plus agréable des charmes de la belle madame Ramsès. Un escabeau était posé devant une fenêtre, et je proposai d'une voix sourde de monter dessus pour accrocher le rideau.

- Non, mon jeune ami, je grimperai, pendant que vous tiendrez fermement l'escabeau.

Elle prit le rideau, et, alors qu'elle s'occupait de le fixer au-dessus de la fenêtre, j'eus subitement sous les yeux un coin de paradis. Parce qu'elle levait les bras, sa courte robe était remontée au-dessus de la lisière des bas de soie, et quand elle tendit la jambe pour essayer d'atteindre l'autre côté de la fenêtre tout en gardant son équilibre, je fus pris d'un vertige en voyant entre les cuisses charnues la transparente petite étoffe blanche, qui ne jouait que symboliquement son rôle de voile. J'avais mal aux mains, tant je serrais fort l'escabeau.

- Attention, maintenant je vais descendre. Donne-moi la main, s'il te plaît.

J'avais sans doute l'air très troublé, parce qu'elle me jeta un regard étrange et quelque peu moqueur. Et quand la rusée trébucha sur la dernière marche, je compris, malgré mon inexpérience, que la maladresse de ma belle voisine était d'autant plus habile que ma main gauche se trouva soudain prisonnière vers le haut de sa jarretelle, tandis que ses lèvres se retrouvèrent par hasard sur ma bouche.

Cher lecteur, charmante lectrice, à cause du titre de mon récit, vous attendez assez impatiemment que je vous dise comment je suis devenu espérantiste. Je n'entrerai donc pas dans le détail de tout ce qui se passa sur le lit de Ramsès. Sachez seulement que pour la première fois je possédai une femme, ou, plus exactement, je fus violenté par une femme. Ceci dit, je ne me plaignis pas de ce traitement. Je subodore qu'au début, mon inexpérience ne satisfit pas pleinement ma séductrice, mais, à l'évidence, ma vigueur juvénile, mon impétuosité débridée, mon insatiable curiosité et ma disponibilité permanente l'enchantèrent. A coup sûr, elle s'émerveilla de l'efficacité miraculeuse de ses caresses buccales et digitales, car à chaque fois elle s'écria : "Ha ! Impossible, c'est impossible".

Hélas ! Nous dûmes nous séparer, et après un dernier baiser nous promîmes de nous revoir le plus tôt possible. Ma mère me reprocha d'être resté trop longtemps dehors, mais elle fut très contente que l'air frais ait aussi joliment coloré mes joues…

Malheureusement, Léa et moi réalisâmes bientôt qu'une nouvelle rencontre était difficile, voire impossible, bien qu'elle disposât du domicile d'une amie qui, avant un voyage de plusieurs mois, lui avait demandé de prendre soin de ses fleurs. La journée, j'étais au lycée en même temps que Ramsès, et le soir, Léa n'avait aucune raison de quitter seule le domicile. Nous pouvions seulement, à l'occasion de rencontres fortuites dans l'escalier, échanger de rapides baisers qui nous rendaient encore plus impatients. Les affres du destin… Finalement, il me vint une merveilleuse idée : en longeant l'Université populaire bervalienne, je lus les mots "Cours du soir". Léa et moi ne pourrions-nous pas nous inscrire à un cours du soir ? Mais quel genre de cours ? Des mathématiques, de la géographie, etc., j'en faisais déjà au lycée ; le chant choral, la gymnastique ou la danse ne convaincraient ni Ramsès d'un côté, ni mes parents de l'autre. Restait l'espéranto. Je discutai de l'affaire avec Léa entre deux baisers dans l'escalier. Elle déclara donc à son mari qu'elle désirait occuper son temps libre en correspondant avec des étrangers, et mes parents approuvèrent mon intention d'apprendre la langue internationale avant ma participation au prochain jamboree.

Ainsi, nous pûmes nous retrouver chaque mardi et chaque vendredi soir dans le logement de son amie, partie en voyage. Et pendant que les participants au cours apprenaient avec application les seize règles du Fundamento, ma Léa m'instruisait à fond sur les mille et une règles les plus raffinées de la volupté. Et après chaque leçon, elle me murmurait tendrement : "Chéri, n'oublie pas d'arroser aussi les fleurs".

Naturellement, il nous était totalement indifférent que les substantifs finissent en espéranto par u ou par as. Nous inventions même en plaisantant quelques expressions personnelles. Par exemple, après que Léa un jour m'avait chuchoté dans l'escalier qu'elle se réjouissait d'aller ce soir à l'espéranto, nous prîmes l'habitude de dire que nous allions esperanti (1). Ce mot esperanti sonnait donc à mes oreilles comme amori (2), et après quelques années un psychanalyste m'expliqua que c'était là l'origine du complexe freudien qui me faisait toujours mêler la langue internationale aux concepts érotiques.

Cet heureux esperantado (3) aurait pu durer encore très longtemps, si ma mère ne m'avait pas dit un jour, au déjeuner :

- Tu sais quoi ? Hier j'ai rencontré madame Flumo. Je lui ai raconté que tu apprends l'espéranto. "Oh ! Quelle chance j'ai, a-t-elle répondu. Pendant les vacances de Pâques, une jeune espérantiste anglaise nous rendra visite. Votre fils pourra certainement s'en occuper, lui montrer la Bervalie, notre cathédrale gothique, etc.".

Aïe ! Aïe ! Aïe ! J'acquiesçai, en disant qu'oui, je pourrai discuter avec la demoiselle anglaise, mais songeant : "Dans quelle langue ? Il existe donc de vrais espérantistes, même en Angleterre. Que le diable les emporte !" Le vendredi suivant, je rapportai la mauvaise nouvelle à Léa, et nous fûmes si perplexes que nous n'avons pas esperantis (4) avec le même plaisir. Je décidai de rendre visite à l'animateur du cours, dont on m'avait donné l'adresse à l'Université populaire. Je trouvai un vieux monsieur avec une étoile verte à demi cachée sous une barbe blanche.

- Jeune homme, je m'étonne que vous n'ayez jamais été présent au cours, alors que votre nom est dans ma liste.

Je prétextai une maladie et expliquai que je souhaitais maintenant intensifier l'étude, afin de pouvoir parler espéranto aussi couramment que mes camarades de cours en bonne santé.

Depuis son cadre accroché au mur, au-dessus d'un drapeau vert, un certain Dr L.L.Zamenhof (1859-1917) me regardait d'un air encourageant derrière son pince-nez.

Le vieil enseignant me donna quelques livres et quelques conseils, et je promis de revenir lui rendre visite. Mais, lorsqu'il déclara : "Jeune homme, l'espéranto est mon seul but dans la vie", je songeai à l'espéranto de Léa et j'éclatai de rire. Ne pouvant lui donner d'explication freudienne à cette impolitesse, je l'attribuai à ma récente maladie. Le vieillard secoua la tête, grommelant qu'il y avait déjà suffisamment de gens bizarres dans le mouvement, et L.L.Zamenhof (1859-1917) me lança depuis son cadre un regard de reproche.

Pendant quatre semaines, Léa et moi étudiâmes l'espéranto. Cela gênait assurément notre esperantado, mais que faire ? Nous introduisîmes dans nos galipettes une sévère discipline. J'arrosais rapidement les fleurs, et, lorsque j'approchais une main baladeuse de sa cuisse satinée ou d'un sein ferme et rond, Léa me repoussait doucement :

- Pas maintenant, chéri. Seulement quand tu m'auras récité la table des mots corrélatifs.

En serrant les dents, je parcourus les séries : partout, tout, toujours, de toutes les manières, tout en dévorant simultanément des yeux un mamelon rose réservé au bon élève.

Le vieil animateur du cours me déclara effectivement bon élève lorsque je retournai le voir. Il me proposa d'emprunter quelques livres de sa bibliothèque. Cependant, quand il vit parmi les quatre titres que j'avais choisis, le Sekretaj Sonetoj d'un certain P.Peneter, il changea un peu d'avis :

- Non, jeune homme. Je ne sais pas si j'ai le droit… si tu n'es pas trop jeune…

Cela piqua tellement ma curiosité que je ne rendis pas le livre et affirmai que j'étais suffisamment mature, etc. Tandis que le vieux réfléchissait s'il avait le droit, je le remerciai rapidement et sortis, sans prendre garde à L.L.Zamenhof (1859-1917) qui fermait les yeux derrière son pince-nez.

Léa et moi pouvions d'autant plus intensément améliorer notre étude, que pendant les fêtes de Pâques son mari était parti en voyage pour les trois jours d'un congrès d'enseignants de physique dans la capitale française. Je racontai à mes parents que mon groupe de scouts allait camper trois jours en forêt. Ils ne pouvaient imaginer que je camperais un étage plus bas, dans le lit de Ramsès.

Ha ! Ces trois jours ! Ha ! Ces deux nuits ! Léa remplissait mon estomac de steaks de cheval et de vin rouge, pour me redonner les forces qu'elle m'ôtait d'une autre façon. Pendant qu'elle cuisinait, je devais apprendre par cœur deux ou trois Sekretaj Sonetoj, que je lui récitais ensuite dans le lit. De cette façon, nous enrichissions réellement notre lexique diurne (et nocturne), et nous parvînmes à une parfaite harmonie entre espéranto et esperantado. Je me souviens bien, par exemple, de la récitation du 35e sonnet, pendant laquelle Léa, d'une voix rauque, les yeux chavirés par l'extase, scandait chaque avancée de mon esperantilo (5) : "Pilon - oui ! - et bambou - oui ! - et collage - ouiii !…" Ha ! Cher lecteur, charmante lectrice, je peux affirmer qu'en ma seizième année je devins un bon espérantiste, y compris selon le sens que le Fundamento attribue à ce mot.

Après le troisième jour, je pris mon sac à dos derrière la table de nuit et je retournai à la maison, c'est-à-dire que je montai un étage. En me voyant, ma mère s'écria que j'avais l'air épuisé, que j'avais des cernes noirs sous les yeux, que j'avais certainement mal mangé et mal dormi sous ma tente, que les chefs scouts, oui, étaient fous, que l'espérantiste anglaise était venue me rendre visite et reviendrait demain pour que je lui montre tout ce qu'il y avait à voir.

- Pourquoi tu ne te contentes pas de l'espéranto, au lieu de vagabonder dans la forêt comme un demi-sauvage ?

Le jour suivant, je déambulai dans la forêt proche de la ville avec ma nouvelle amie, l'espérantiste Daisy. Elle était jolie, rousse, une jeune fille aux yeux verts dont l'accent anglais à peine perceptible me ravissait. Je lui avais déjà montré la cathédrale gothique, la mairie, une partie du musée, le glacier Alasko, et maintenant nous étions tous deux assis sur un tapis de mousse, entourés des senteurs enivrantes du muguet. Tenant sa petite main, je faisais étalage de mes connaissances toutes fraîches en langue internationale, mais sa façon moqueuse de corriger mes quelques petites erreurs m'irritait, alors qu'ensuite, espiègle et souriante, elle me regardait de ses yeux fripons. J'essayais naturellement de ne pas choquer une si innocente jeune fille, je veillais au caractère chaste de mes paroles, mais lorsqu'elle me dit : "Ne parlons pas des langues anglaises, mais de la langue anglaise", tout en me tirant malicieusement sa langue rose, je lui demandai avec un peu d'insolence :

- Ma chère Daisy, est-ce qu'à ton cours puritain on t'a appris les Sekretaj Sonetoj de Peneter ?

Les perles cristallines de son rire firent soudain taire un merle au-dessus de nos têtes. Daisy approcha ses lèvres de mon oreille et chuchota :

- Sonnet 36 : "On le fait, mais on n'en parle pas". Est-ce que je continue ?

Je ne pus répondre, car tombant à la renverse sur la mousse, d'un geste elle pressa mon visage vers la partie de son corps où elle pouvait facilement maintenir ma tête entre les chaudes tenailles de ses cuisses. Le temps d'un éclair, je ne vis plus sous mon nez qu'une petite culotte verte. Le vert est la couleur de l'espoir, de l'espéranto… et aussi de l'esperantado, n'est-ce pas, charmante lectrice ?

 

Ndt. :

1. Esperanti : suffixe -i des verbes à l'infinitif, faire de l'espéranto.

2. Amori : faire l'amour.

3. Esperantado : la pratique de l'espéranto.

4. Esperantis : suffixe -is du passé.

5. Esperantilo : suffixe -ilo de l'outil, outil à faire de l'espéranto…

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