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18 octobre 2009 7 18 /10 /octobre /2009 20:28

Morceaux choisis, et quelques commentaires sur le récent rapport de la Commission des affaires culturelles du Sénat sur la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes

  Ce rapport porte « (...) sur la proposition de résolution européenne n° 204 (2008-2009) présentée au nom de la commission des affaires européennes (...) »

Il est également consultable dans sa totalité sur L’Observatoire du plurilinguisme.

Le rapporteur est le sénateur Legendre, par le passé déjà rapporteur d’excellents bilans de la même commission sur l’enseignement en France.

Le rapport confirme la profonde dérive monolingue anglophone de l’UE, en opposition avec ses principes fondateurs :

« (...)établissant ainsi que la tendance lourde à l’unilinguisme anglophone méconnaissait la devise même d’une Union européenne qui aspire à « l’unité dans la diversité ». »

Il précise que la France n’est pas seule à s’en plaindre :

« (...) que la France n’était pas seule dans son combat en faveur de la diversité linguistique dans l’Union européenne. Après avoir relevé que les entorses au multilinguisme au sein des institutions communautaires suscitaient dans d’autres pays européens la même exaspération, »

On se demande pourtant qui s’en plaint, étant donné que l’Italie et l’Espagne, entre autres, ont rendu l’anglais obligatoire à l’école, mais, surtout, on se demande où les estimables sénateurs ont vu la France combattre en faveur de la diversité linguistique dans l’UE.

En effet, celle-ci est en chute libre dans nos écoles, l’anglais y est imposé au primaire faute de choix (sauf rares exceptions), ainsi qu’en 6e dans de nombreux établissements ; divers ministres se sont distingués comme d’ardents partisans de l’anglais comme langue européenne et comme langue de l’intégration universitaire, ne devant plus être considérée comme étrangère, au point que Mme Pecresse s’est vue décerner le prix parodique de la Carpette anglaise de 2008.

On rappelle aussi que France 24, une télé en anglais maladroitement maquillée en polyglotte, nous coûte 160m/an, les Français apprécieront en cette période de licenciements... et que le ministre Darcos fait financer des stages d’été en anglais dans nos écoles, pour un coût secret défense.

Il semble donc y avoir deux France, l’une majoritaire et tenant tous les leviers de commande, favorable au tout-anglais, l’autre menant le combat dont parle ce rapport parlementaire.

Fâcheux, mais Jean Ferrat ne titrait-il pas déjà une de ses chansons « Ma France » ? Les périodes troublées ou terribles comme la 2e guerre mondiale ou la guerre d’Algérie ont connu aussi de pareils clivages du pays, quoique celui-ci soit plus pacifique. Mais on admire le tact des rédacteurs du rapport présentant toute la France luttant comme un seul homme pour la diversité linguistique !

Soyons plus directs : ceux qui nous dirigent se contrefichent, dans leur grande majorité, de la diversité linguistique dans l’UE et de la primauté de l’anglais, ou alors ils le cachent bien... mais on ne peut l’écrire ainsi dans un rapport sénatorial, j’ignore pourquoi.

Le rapport fait aussi un utile rappel des impératifs de la démocratie :

« Il a souligné également que le multilinguisme institutionnel répondait à un besoin de transparence démocratique, notamment à l’égard des parlements nationaux, gardiens du respect de la subsidiarité dans l’Union européenne. »

En effet, comment débattre de ce que l’on ne comprend pas ? Comment voter à l’aveugle – heu non, mauvais exemple, bien des lois ont été votées devant un Parlement quasiment vide !

« Il a précisé que la proposition de résolution se fondait précisément sur deux entorses au multilinguisme pénalisant fortement les assemblées parlementaires dans leur contrôle de l’action communautaire : d’une part, les rapports de progrès de la Commission européenne sur les pays candidats potentiels à l’entrée dans l’Union (comme la Bosnie ou le Kosovo) sont disponibles uniquement en anglais, et, d’autre part, certains documents préparatoires à l’avant-projet de budget communautaire sont, soit exclusivement disponibles en anglais, soit traduits systématiquement avec retard. »

Il émet l’avis que le coût ne peut être avancé comme une justification :

« (...) le coût total de la traduction et de l’interprétariat dans une Union comptant vingt-trois langues officielles, toutes institutions confondues, ne représenterait, en moyenne, que 2,20 euros par citoyen et par an. »

« (...) il a souligné les efforts des pouvoirs publics français pour tenter de rétablir un équilibre satisfaisant entre les langues. »

Personnellement, je n’ai pas compris à quels efforts ce passage faisait allusion. Divers ministères ne correspondent-ils pas avec l’UE en anglais, ne travaillent-ils pas sur des documents en anglais, au lieu de les renvoyer à l’expéditeur pour traduction, comme le demandent les associations de défense de la langue française ?

Le rapport a, comme il se doit, « salué les efforts de la présidence française de l’Union européenne ».

Il n’a pas évité le cliché de la traduction automatique, dont les progrès futurs nous sont chaque mois rappelés par les fabricants, alors que tout traducteur sait combien ces logiciels sont loin de la vraie traduction :

« (..) et qui appelle à un vaste effort en faveur de la traduction humaine et automatique, »

Il n’a pas échappé aux banalités d’usage :

« (...) l’indication de la nécessité de développer les compétences linguistiques des citoyens européens par l’apprentissage obligatoire, dans les systèmes éducatifs nationaux, de deux langues étrangères rejoignait ses préoccupations, exprimées dans deux rapports qu’il a présentés au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat sur l’enseignement des langues vivantes en France et dans une recommandation du Conseil de l’Europe sur la diversification des compétences linguistiques des citoyens européens. »

On déplorera l’absence de plaidoyer en faveur de la liberté de choisir sa ou ses langues étrangères.

On retrouve l’illusion qu’une avancée dans les compétences linguistiques des Européens puisse changer quoi que ce soit à la barrière des langues.
Oublie-t-on le bon sens populaire ? Quand les Européens voient que l’anglais est roi, ils se disent « Je suis pas fou, pourquoi j’apprendrai autre chose, je vais faire pareil ! » .

Croit-on qu’il suffit de décréter qu’on va faire apprendre deux langues étrangères aux élèves, pour qu’ils atteignent un niveau fluide dans ces langues ? Ils n’y parviennent même pas en anglais ! Et c’est bien naturel : l’école ne peut être le lieu que d’une initiation aux langues, pas d’un apprentissage intensif similaire à celui que nous faisons dans notre langue maternelle, tout au long de notre vie. Il faudra un jour accepter le fait que l’apprentissage d’une langue étrangère est un immense travail, et que peu de gens en ont besoin, que peu en ont envie !

Le rapport n’a pas oublié de tancer nos voisins et amis anglais :
« Il a appelé ensuite à la plus grande vigilance sur la question de l’apprentissage d’une deuxième langue étrangère, citant l’exemple du Royaume-Uni qui a supprimé le caractère obligatoire de l’apprentissage des langues étrangères, sous prétexte de lutter contre l’absentéisme, et de l’Italie qui pourrait prochainement ne plus appliquer cette obligation au collège. »

Des vœux pieux :

« (...)d’appeler le Gouvernement à la plus grande vigilance pour prévenir toute discrimination fondée sur la langue. »

Comme toujours, il n’est nullement expliqué comment, dans l’hypothèse de « l’émergence d’un véritable espace public européen multilingue » , un espagnol parlant catalan, français et portugais pourra discuter avec un Suédois qui parle anglais et polonais ?

De bonnes remarques, toujours dans le sens de la transparence et de la démocratie :

« (...) le Gouvernement doit exiger des institutions communautaires qu’elles clarifient les critères présidant à la traduction de certains de leurs documents de travail pour permettre aux parlements nationaux de disposer,(...) »

« les institutions communautaires doivent impérativement améliorer la présentation multilingue de leurs sites Internet, »

Par précaution vis-à-vis des autres pays, qu’on appelle à l’enseignement de deux langues, on s’est défendus par avance de ne viser que la promotion du français.

Finalement, beaucoup de bonnes remarques, mais, comme toujours, l’illusion qu’il suffit de « promouvoir le multilinguisme ».

Oui, mais lequel, comment, quelles langues ? Des détails, de grâce : de quelle façon les institutions européennes fonctionneront-elles, quelles langues seront disponibles à l’école, et comment les Européens discuteront-ils entre eux ?

Au-delà du constat et de quelques bonnes remarques, on reste dans le déni que ce prétendu multilinguisme nous a conduits au tout-anglais, le refus d’admettre qu’un modeste renforcement de la deuxième langue étrangère ne changera strictement rien à la question puisque la première restera selon toute probabilité l’anglais dans tous les pays de l’Union !

Le rapport résume aussi le débat qui a suivi, et qui a permis quelques remarques intéressantes :

« M. Yannick Bodin a encouragé à entrer en « résistance » compte tenu des obstacles qui se dressent face à la cause du multilinguisme européen. Il a attiré l’attention sur les difficultés posées par la traduction dans une Union européenne élargie qui nécessite le recours accru aux langues pivots. »

Effectivement, malgré l’augmentation constante du budget, et l’excellence du service de traduction et interprétariat, on cache volontiers que la qualité de la traduction baisse dans certains cas, du fait du recours à des langues pivots – souvent l’anglais.

« Il a souligné, également, le paradoxe de l’anglais qui est considéré comme une langue étrangère par certains pays et comme une langue internationale par d’autres, notamment les pays du Nord et nombre de pays de l’est de l’Europe. »

Bien vu, la diversité est grande dans l’UE, nous sommes une mosaïque de peuples et de cultures, et la perception de l’anglais par les Suédois (qui enseignent souvent en anglais à l’université) n’est pas du tout la même que, par exemple, celle des Espagnols.

M. Ivan Renar a mis l’accent sur un risque pour l’UE :
« (...) Il a estimé que l’unilinguisme pouvait conduire au développement d’un sentiment anti-européen. »

On rappela qu’il ne fallait pas créer une hiérarchie entre les langues de l’UE :

« En réponse aux différents intervenants, M. Jacques Legendre, rapporteur, a tout d’abord indiqué qu’il approuvait la suggestion de Mme Marie-Christine Blandin de supprimer la mention « en privilégiant leur degré de portée politique » figurant dans la proposition de résolution de la commission des affaires européennes. »

Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord-Pas-de-Calais, a cité la solution espéranto :

« Elle a regretté que l’Europe ait manqué le rendez-vous de l’espéranto, estimant que cette utopie aurait contribué à une égalité de traitement entre tous les partenaires européens en matière linguistique. »

Nos chaleureuses félicitations pour ce courage politique.

Ajoutons simplement que ce rendez-vous est toujours possible : l’espéranto, langue construite, est prêt et il n’attend que nous. Une langue véhiculaire commune à tous les Européens est à portée de main ; en à peine quelques années, dans le respect de toutes les langues et peuples de l’union, une solution démocratique, car accessible au plus grand nombre (langue construite très largement plus facile) et l’espace public européen, dont on déplore souvent l’absence, serait alors autre chose qu’un rêve.

Il est piquant de constater que les députés ayant soutenu l’espéranto sont tous des députées ! Ljudmila Novak, membre slovène du Parlement européen, a rédigé une motion en sa faveur, deux parlementaires neuchâteloises à Berne au parlement fédéral suisse, Mesdames Francine John et Gisèle Ory, avaient proposé l’Association Universelle d’Espéranto (UEA) pour l’obtention du Prix Nobel de la Paix en 2008.
De son côté, Hélène Mandroux, est Mairesse de Montpellier, ville dont le site est en huit langues dont l’Eo, et Mme Catherine Trautmann a soutenu la présence de l’Eo parmi les langues disponibles pour la visite de Strasbourg en bateaux-mouche,

Le vrai courage politique serait-il féminin ? Ou craignent-elles moins pour leur carrière ?

Non, je rigole, il y a aussi des hommes politiques favorables mais... en Suisse :

Il n’est jamais trop tard pour discuter d’un plurilinguisme efficace et équitable : espéranto comme langue véhiculaire commune + une ou deux autres langues selon les origines familiales, régionales, les besoins professionnels et l’expatriation éventuelle.

Le plurilinguisme, oui, mais lequel ? Voilà à quoi devraient répondre en détail les rapports des fonctionnaires européens et des politiciens, plutôt que de se contenter du mot, qui n’aboutit qu’à apprendre tous l’anglais en première langue et à plaider en vain pour un renforcement de la deuxième, tandis que les anglophones les rendent toutes facultatives dans leurs écoles dès 14 ans !

L’espéranto, quoique méconnu en France, est à notre avis la seule alternative crédible à la question de l’anglais dans l’UE ; il méritait qu’un chapitre lui soit consacré, même critique, en tout cas davantage qu’une simple mention au cours des débats. Car c’est un Français qui a dit « De l’audace, toujours de l’audace ! »

Tant que les rapports, aussi intéressants soient-ils, se contenteront de banalités et de vœux pieux dans leurs recommandations, la place de l’anglais dans l’UE ne fera que se renforcer, comme cela se passe sous nos yeux en ce moment même. Une nouvelle occasion de perdue.
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