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18 octobre 2009 7 18 /10 /octobre /2009 20:05

L’accident du sous-marin nucléaire russe, le Nerpa, qui a fait 20 morts, est le plus grave depuis celui du Koursk en 2000. Les autorités ont rapidement conclu à l’erreur humaine, un matelot aurait avoué avoir déclenché le système anti-incendie.

  « L’enquête a établi qu’un membre de l’équipage, un matelot, a fait fonctionner le système anti-incendie à bord du sous-marin, sans autorisation et sans aucune raison », a déclaré jeudi un porte- parole du Comité de l’enquête auprès du Parquet russe, Vladimir Markine, cité par l’agence Ria-Novosti.
Les victimes ont été asphyxiées en inhalant du fréon émis par le déclenchement intempestif du système anti-incendie. Selon les autorités, aucun incendie ne s’était déclaré à bord. »

Mais les choses semblent plus compliquées que ne le laissent entendre les premières déclarations officielles.

Tout d’abord, ce sous-marin devant être loué à l’Inde, une erreur humaine serait moins préjudiciable à cette location-vente qu’un défaut de conception du logiciel ou une défaillance technique.

D’autres facteurs ont été avancés, qui ont pu permettre ou aggraver l’accident.

«  Plusieurs experts et collègues du sous-marinier mettent d’ores et déjà en doute la version officielle. "Nous ne croyons pas qu’il ait pu intentionnellement ou accidentellement déclencher le système anti-incendie. Je sers depuis longtemps avec lui, depuis 2003. Ce n’est pas un débutant. C’est un spécialiste compétent", a déclaré un officier du Nerpa à l’agence Interfax. "Nous ne croyons pas qu’il soit coupable et craignons qu’il puisse faire des aveux sous la pression", a-t-il ajouté, sous couvert de l’anonymat. "Ils l’ont emmené hier soir pour un interrogatoire, et depuis il n’est pas revenu", a-t-il dit. »

Les masques à gaz auraient été défectueux ou en nombre insuffisant, pour un équipage civil et militaire en surnombre en raison des essais en mer.
« Selon le quotidien populaire russe « Tvoï Den’ », le grand nombre de morts pourrait s’expliquer aussi par le fait que plusieurs masques respiratoires à bord du sous-marin Nerpa étaient "défectueux". »

"Certaines victimes trouvées à bord du submersible portaient des masques respiratoires, mais ces appareils ne fonctionnaient pas", a assuré au quotidien le survivant Dmitri Oussatchov. »

« Révélation, en revanche : il y avait 208 personnes à bord, dont 81 marins alors que ce type d’appareil est prévu pour 73 membres d’équipage.
"Un sous-marin est particulièrement vulnérable pendant les essais. Avec à la fois du personnel de Marine et des civils à bord, il est très difficile de maintenir un grand nombre de gens organisés", a commenté Gennady Illarionov, un officier sous-marinier retraité, cité par l’agence RIA-Novosti. »

Enfin, il existe un dernier facteur à cet accident dramatique : l’usage de l’anglais dans les logiciels et les instructions affichées.
(information rapportée par le média citoyen espérantophone Libera folio, à partir de journaux russes)

« La méconnaissance de l’anglais a causé la mort (ndt : la perte) des marins russes (titre)
Le sous-marin nucléaire "Nerpa" a souffert du système de sécurité anti-incendie, très moderne, qui a été installé sur l’insistance des clients indiens.

- Même l’ensemble des instructions sont uniquement en anglais, pas possible de s’y retrouver, - dit l’un des spécialistes arrivés dans la ville côtière Bolchoï Kamen pour mener l’enquête. – Mais il reste beaucoup de choses inexpliquées. »

« Aujourd’hui, nous avons contacté l’ingénieur Youri
(à sa demande, nous ne donnons pas son nom de famille). Il devait faire partie de l’équipage du "Nerpa" – il avait même signé le contrat mais changé d’avis au dernier moment.
"Déjà quand j’ai pris la décision de quitter l’équipage, a été discuté le problème des instructions du système qui étaient en anglais, parce que le sous-marin a été construit pour les Indiens. Nous avons fait par écrit plusieurs réclamations en demandant que l’on traduise tout en russe, au moins pour la période des essais, mais je ne sais pas si cela a abouti. »

(traduit du russe)

Ces circonstances rappellent étrangement les accidents d’irradiation de l’hôpital d’Epinal, où l’usage d’un logiciel en anglais avait été un co-facteur de ces erreurs médicales aux lourdes conséquences. Dans les mois qui ont suivi, le Ministère de la Santé avait rendu obligatoire l’usage de logiciels traduits, et imposé que les formations des manipulateurs et radiothérapeutes se fassent elles aussi en français – ce qui n’était auparavant pas toujours le cas.

« Outre plusieurs opérations qui n’ont pas été effectuées, comme la traçabilité des opérations ou l’écriture préalable du protocole, les manipulateurs n’ont disposé "d’aucun guide d’utilisation en français adapté à leur pratique quotidienne" et n’ont pas été formés correctement à la modification effectuée. »
(Article d’un site infirmier, basé sur le même rapport officiel dont le lien est indiqué plus haut)

Confirmé également par le Ministère de la santé dans son communiqué de presse du 06/03/07  :
« Par ailleurs, il reste 5 centres de radiothérapie équipés de logiciels en anglais alors qu’ils sont interdits. L’agence française de sécurité sanitaire contrôle actuellement leur remplacement. On peut rappeler que les centres de radiothérapies, les hôpitaux qui s’en équiperaient comme leurs fournisseurs s’exposent à des poursuites judiciaires. »

Malgré ces confirmations officielles et ces rapides réactions du Ministère de la Santé, le fait de ne pas travailler en français ne fut que très brièvement évoqué dans les médias, par exemple par Le magazine de la santé, sur la 5, et certaines revues médicales, mais passé sous silence par d’autres...

On peut également rappeler que les malentendus en anglais ont été co-facteur du terrible accident de Ténériffe en 77, après lequel le vocabulaire anglais de l’aviation a été modifié, et les procédures de répétition des instructions reçues - systématisées.

L’aviation récente ne manque pas de malentendus de ce type, avec ou sans accident, mais cela ne fait jamais la une et, le cas échéant, on les met sur le compte de la mauvaise formation des pilotes dans telle ou telle compagnie, ou de leur faible niveau d’anglais (sous-entendu : apprenez mieux l’anglais).

Par exemple, bien que leur emploi ait été codifié après Ténériffe, les mots et expressions clear/cleared/hold clear se prêtent facilement à des malentendus.

Même si les rapports officiels sur l’accident du sous-marin russe restent encore évasifs sur les circonstances exactes, et qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour titrer, à la manière d’un tabloïd, « L’anglais a encore tué », cet accident nous rappelle que c’est dans sa propre langue qu’on travaille le mieux, que la connaissance de l’anglais est toujours imparfaite, aléatoire – y compris parmi les personnels très qualifiés, dont le niveau d’anglais peut être correct, mais qui, loin de se contenter de demander la direction d’un hôtel, manipulent au contraire des logiciels et des machines sophistiqués. Même si leur niveau est meilleur que celui du citoyen lambda, le risque d’erreur grave existe toujours.

 L’usage d’une langue nationale, difficile par définition, aux nombreux idiotismes et à la phonétique aussi complexe que celle de l’anglais, est source de fréquents malentendus. Il est regrettable que ce sujet qui nous concerne tous, soit toujours escamoté par les médias. Combien de victimes faudra-t-il avant qu’on aborde ouvertement la question de la communication internationale ?
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