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24 octobre 2009 6 24 /10 /octobre /2009 19:33

N.Sarkozy vient d’annoncer un plan d’urgence pour les langues étrangères.
On ne peut plus aller sur la Toile ou allumer une radio sans tomber sur une énième variation du supposé faible niveau des Français en anglais... L’auto-flagellation continue de plus belle !


1. Tout d’abord, où est l’urgence ?

Un plan d’urgence pour les langues : on croit rêver ! Famine, chômage, logement, accès à l’eau potable pour un milliard de personnes, misère, exploitation sexuelle, mines antipersonnel, pandémies - ça ce sont des urgences !
 
Autrefois, on ne présentait jamais la question des langues à l’école comme une « urgence ». L’école jouait son rôle, celui d’une initiation à une ou deux langues étrangères, car c’est son rôle, sans que la pédagogie y soit pour quelque chose, et nul n’y voyait le moindre problème !

Alors d’où vient ce sentiment d’urgence ? Je veux dire, outre le fait que c’est devenu une méthode de gouvernement : un plan d’urgence pour tous et tous votent pour moi ! Pourquoi, ces dernières années, la question des langues à l’école s’est-elle transformée en intense masochisme à la française ?

Tout simplement à cause de la construction européenne !

C’est seulement depuis que le multilinguisme européen a tourné au tout-anglais que cette propagande est devenue si forte dans les médias, qui relaient aveuglément les sondages vaseux d’Eurobaromètre. Car en répétant sans cesse que les Européens doivent apprendre des langues, l’UE tente de masquer la vérité de l’UE où les élites n’utilisent et ne soutiennent que l’anglais, tandis que les Européens se comprennent toujours aussi mal...

Rappelons qu’il n’existe aucune étude scientifique sur le niveau en langue, qu’il s’agisse d’anglais ou d’une autre langue, mais seulement des sondages approximatifs : on peut avoir de moins bons résultats, comme les Hongrois, les Portugais ou les Espagnols, parce qu’on est plus modestes ou plus réalistes. A la question « Maîtrisez-vous une langue étrangère ? », le réaliste répondra « Non » !

L’urgence n’est pas dans les langues, mais dans une clarification de la communciation dans l’UE, au niveau administratif, mais également cityoyen, entre les Européens. Comment croire qu’il y aura un jour une opinion publique européenne, des partis politiques transnationaux, des médias européens, sans qu’on se comprenne ?

Ce qui est urgent, c’est que l’on fasse sur les langues un débat citoyen, dans les médias et au Parlement !

2. Il y a quelques jours, j’ai entendu Radio Nostalgie parler du faible niveau des Espagnols en langues - comprenez "l’anglais" (ça change un peu des Français, mais le principe est le même), et voici qu’une radio du secteur Nîmes-Avignon-Marseille reprend les mêmes clichés :

« La secrétaire générale de l’APLV répond aux questions de la rédaction de Raje.fr : méthodes d’apprentissage et propositions de Nicolas Sarkozy. »
L’émission de Raje.fr (doc audio à télécharger)

(APLV , association des professeurs de langues vivantes)

Elle ne remet absolument pas en question l’axiome du supposé faible niveau en anglais, alors qu’il est évident qu’il s’agit de manipulation, de propagande basée sur des sondages par auto-questionnaires.
 
L’impossibilité de choisir ses langues étrangères et la diversité linguistique en chute libre dans nos écoles ne seront pas abordés... Le financement croissant du business extra-scolaire de l’anglais par l’État et les régions non plus...

Le fait qu’elle soit professeur d’anglais a-t-il un rapport avec cette vision partielle de la question ? Aucune idée.

Soyons honnête : elle a fort justement rappelé que l’anglais était une langue germanique, et à ce titre plus facile pour les Allemands ou les Suédois. Elle a également rappelé qu’il était très difficile sur le plan phonétique, en ajoutant assez curieusement que « le français était une langue non accentuée », alors que l’accent tonique est fixe, sur la dernière syllabe prononcée.

Rappelons qu’en raison de la phonétique aberrante de l’anglais, sans aucune règle (ou alors innombrables lorsqu’un livre tente de les décrire), la dyslexie est beaucoup plus fréquente en GB qu’en Italie...  (doc en pdf)

Et certains veulent imposer à la maternelle ou au CP une langue aussi difficile, à un âge où le français est à peine balbutiant !

L’animateur a involontairement mis les pieds dans le plat (comme lorsque les enfants disent crûment ce que les adultes cachent), en parlant de l’introduction de l’anglais à l’école primaire, ignorant probablement que la réforme des langues au primaire avait été intitulée initiation AUX langues ! Dans sa naïveté, il a touché du doigt une vérité que l’on veut cacher : l’anglais est imposé à l’école primaire, avec de rares exceptions, car aucun choix n’est organisé.

On eut droit aussi à l’habituelle suggestion de gens bien intentionnés (Jean-louis Nandrini, secrétaire général de l’enseignement scolaire à l’EN) qui veulent nous imposer des films en VO ! De quel droit ? C’est fou, combien de gens sont prêts à faire notre bonheur à notre place ! Heureusement que les télévisions n’ignorent pas quelle chute d’audience cela entraînerait...
Il faudrait que quelqu’un explique à ces pédagogues enfermés dans leur tour d’ivoire que la plupart des gens, après une journée de boulot, veulent se détendre devant un bon film aux dialogues compréhensibles, et non pas aller au cours du soir toute leur vie ! Que si beaucoup de pays n’ont pas de doublage, c’est parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers d’avoir une industrie cinématographique développée. Qu’au moins on ait le choix grâce au numérique.

Comme d’habitude, on eut droit à la comparaison avec la Suède, dont le niveau d’anglais est si élevé, entre autres car ils regardent des films en anglais depuis l’enfance : pas un mot sur le déclin du suédois que personne ne veut apprendre, sur le débat interne en Suède au sujet de l’anglais, sur la perte du vocabulaire scientifique et technique, faute d’être actualisé depuis des décennies... Veut-on cet avenir pour le français ?

Finalement, le seul moment de l’émission où l’on échappa à la langue de bois fut le micro-trottoir auprès de lycéens (au tout début de l’émission) : ceux qui ont été interrogés se désintéressent des langues vivantes, jugées trop difficiles ou inutiles pour pour le métier envisagé... Enfin un peu de bon sens.

Eh oui ! Si l’anglais est actuellement indispensable à une fraction de certaines professions, si d’autres langues sont très utiles selon le métier et le lieu, la plupart des gens n’ont ni l’occasion ni l’envie d’apprendre une langue étrangère !

Et comme cela s’oublie beaucoup plus vite qu’une langue natale, le peu appris à l’école s’évapore si l’on ne pratique plus.
 
Nous avons peu à peu rendu l’anglais quasiment obligatoire (95% ?), de la maternelle à certains établissements supérieurs (comme Sciences-Po Paris), sans vote ni débat, sans oser le dire, et en attendant la VO à la télévision... Et il ne faudra pas venir pleurer sur le déclin de la francophonie (ici au Maroc) , alors que diverses universités organisent des cursus anglophones pour des étudiants qui autrefois venaient étudier en français, entre autres mille exemples.

Cette attitude est une reconnaissance de fait de l’administration anglophone de l’UE, un abandon de la diversité linguistique.

Les exemples de la « guerre des langues », de leur lutte d’influence, sont visibles tous les jours dans les médias. Chacun a constaté la montée en puissance du chinois. Mais d’autres langues sont concernées, qui montrent qu’une large partie du monde n’accepte pas réellement l’anglais comme langue mondiale et soutient les siennes : Amérique du Sud, Asie, Russie.

Mohamed BENRABAH, linguiste, dans son dernier livre, « Devenir langue dominante mondiale. Un défi pour l’arabe », (Droz, Genève, 2009), commente une ancienne étude prospective du British Council et s’interroge sur l’avenir de l’arabe.

La question des langues à l’école n’est absolument pas pédagogique mais politique ! De même que celle de l’apprentissage précoce des langues... Y coller de grands mots comme « neurosciences » n’y changera rien : on ne parle pas de commencer les langues à la maternelle, mais l’anglais.
 
Cette émission de radio est révélatrice pour deux raisons  :

— il n’a été question que du niveau d’anglais à l’école : d’aucune autre langue !

— il n’a été abordé QUE l’aspect pédagogique... JAMAIS l’aspect politique !


L’obstination des professeurs de langue est étonnante, à ne considérer les langues à l’école que sous l’angle pédagogique (des classes allégées, de l’oral, des heures, des séjours linguistiques - jamais évalués, au bilan carbone douteux !), refusant de voir la disparition progressive des autres langues à l’école...

Alors qu’une réforme serait simple et à coût constant.

Laissez aux élèves le libre choix de leurs langues étrangères. Libérez les langues !

Où est l’urgence ? Dans le niveau en anglais ?
Le chômage, l’endettement du pays, les misères humaines sans nombre, ça ce sont des urgences.
 
Et il faudrait en finir avec une ambigüité persistante : parlons-nous des langues à l’école ou du niveau d’anglais ? Tant qu’on ne répondra pas sans hypocrisie à cette question, le débat sur l’enseignement des langues sera faussé, bâti sur des mensonges et des manipulations.
P.-S.




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