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18 octobre 2009 7 18 /10 /octobre /2009 18:39

Dans le cadre du 26 septembre, Journée européenne des langues, il nous a paru intéressant de revenir aux sources : la légende de Babel.

Tout le monde en a entendu parler, mais on a souvent oublié les détails de cette histoire, dont les implications sont toujours d’actualité malgré l’évolution de nos civilisations.

1. Rappelons l’histoire telle qu’elle est rapportée dans la Bible :

"Tout le monde parlait alors la même langue et se servait des mêmes mots... Ils se dirent ’Allons ! Au travail pour bâtir une ville, avec une tour dont le sommet touche au ciel !’ Le Seigneur en prit ombrage et se dit : ’Les voilà tous qui forment un peuple unique et parlent la même langue ! S’ils commencent ainsi, rien désormais ne les empêchera de réaliser tout ce qu’ils projettent. Descendons mettre le désordre dans leur langage, et empêchons-les de se comprendre les uns les autres.’ C’est à partir de là qu’il a dispersé les humains sur la terre entière."

Mais cette histoire est bien plus ancienne que la Bible, elle nous vient de loin, du temps des Sumériens.

Dans la version babylonienne, près de 2 000 ans avant le monothéisme européen, il n’y a évidemment pas un unique Seigneur, mais plusieurs dieux :

"S’enorgueillirent jadis les habitants du grand Babylone et décidèrent de construire une tour de la terre jusqu’au ciel, d’entrer dans le palais des Anounnaks, de boire et de manger leur nourriture avec eux. Ils décidèrent de devenir les égaux des dieux. La tour grandit, s’élève vers les cieux, les gens se réjouissent. Cela ne fut pas au gré des dieux. Ils vinrent voir Mardouk et dirent : ’Ô Mardouk, tu es le plus grand d’entre nous ; regarde, combien les gens s’enorgueillissent ! Nous ne voulons pas les voir dans le ciel, leur place est sur terre, qu’ils y restent ! Aide-nous, Mardouk !’

Mardouk réfléchit et jeta un puissant sort sur le grand lac près de Babylone. On puisait de l’eau à boire dans ce lac, on lavait les corps dans ce lac. Mais que se passe-t-il ?… Chacun qui boit ne serait-ce qu’une gorgée oublie sa langue ; il parle avec des mots incompréhensibles, les autres ne le comprennent pas ! Impossible de poser une pierre, d’apporter de la terre, d’édifier les murs ! Le chantier s’arrêta. Voyant cela, le magicien Shouroukkah tomba à genoux et pria : ’Mardouk, ô Mardouk, pourquoi châties-tu les gens qui te sont fidèles ? Comment un époux comprendra-t-il son épouse, comment un fils répondra-t-il à son père, comment les sujets pourraient-il chanter la gloire de leur souverain ? Rends-nous la parole, aie pitié !’

La bonne déesse Ishtar compatit avec eux et pria Mardouk de les pardonner. Et Mardouk fit en sorte qu’un poisson magique apparaisse dans le lac : celui qui le mange recommence à parler comme avant, il retrouve la parole. Les gens louèrent Mardouk, firent de la tour inachevée un temple à sa gloire, abandonnèrent les pensées coupables. Ceux qui ne voulurent manger les poissons babyloniens donnèrent naissance aux autres peuples, parlant des langues étranges et incompréhensibles."

2. Quels enseignements tirer de ces deux versions du mythe de Babel ?

Que les rédacteurs de la Bible ont plagié d’autres auteurs ! Mais qu’il leur soit pardonné, selon les préceptes du patron.

Tout d’abord l’ambivalence.

Dans l’antique version, cette barrière des langues est clairement décrite comme un châtiment, une mesure qui leur complique drôlement la vie quotidienne. Alors que dans la version biblique, l’incompréhension entre les hommes de langues différentes est un phénomène favorable, parce qu’elle est à l’origine de la dispersion de l’humanité sur toute la terre - pourtant moins favorable pour les animaux et l’écologie de la planète Terre... mais ne compliquons pas.

Malgré cette ambiguïté, dans les deux versions on parle toujours de la malédiction de Babel, jamais d’une bénédiction.

Remarquons aussi que, dans la version antique, cette malédiction n’est pas définitive : grâce à l’appui d’une déesse bienveillante, ceux qui mangent le poisson magique se comprennent à nouveau, quand ceux qui s’y refusent continuent de parler des langues "étranges et incompréhensibles".

La fin de Babel serait donc un événement que l’Humanité devrait appeler de ses vœux.

Dans la version biblique, l’histoire en reste à la dispersion de l’humanité, en un monde où la barrière des langues demeure - c’est-à-dire notre monde actuel, dans lequel, si l’on en croit les Babyloniens, nous serions toujours maudits !

Alors, sommes-nous maudits ou pas ?

3. Cette ambivalence demeure encore bien visible aujourd’hui

La plupart des gens s’accordent à penser que l’extrême diversité linguistique de la planète (environ 6 000 langues) est une richesse à préserver absolument. Mais comment sauver des langues alors qu’il en meurt, dit-on, une par jour et que la plupart sont menacées ? Personne n’a de réponse à cela.

L’analogie avec la biodiversité vient immédiatement à l’esprit, car nous avons tous entendu dire à quel point elle est atteinte, à quel point il est important de préserver le patrimoine génétique mondial. Nous connaissons tous le cliché sur les bâtards plus vigoureux que les chiens de race, nous nous rappelons les anecdotes historiques sur les familles royales qui souffraient d’un abus de mariages consanguins, etc. Bref, la diversité, c’est l’avenir de la Terre et de l’humanité.

Poussant l’analogie jusqu’à sa conclusion logique, on peut penser que mettre fin à la malédiction de Babel par une langue auxiliaire mondiale serait un grand danger.

Pourtant, dans le même temps, à l’heure de la mondialisation, chacun s’accorde à reconnaître l’utilité de l’anglais (ou de l’espagnol en Amérique du Sud, et peut-être demain du chinois en Asie), et ce, malgré ses effets nocifs sur la vitalité de certaines langues (suédois, tchèque, par exemple), et malgré les excès d’emprunts de vocabulaire anglophone (France !).

La préservation de la diversité linguistique n’exclut donc pas la recherche d’une solution à Babel. Personnellement, nous pensons même aberrant que les hommes n’aient pas encore trouvé de solution à l’incompréhension qui règne entre eux.

Ce n’est pas demain que nous serons tous frères, mais à l’époque des nanotechnologies et des Airbus géants pour transport de masse, au siècle du commerce et du clavardage par internet, comment est-il possible qu’on ne puisse se parler d’un bout à l’autre de la Terre ?

Sans langue commune ou sans interprète, qui n’a jamais éprouvé le ridicule et l’insatisfaction d’une communication purement gestuelle ? Disons-le franchement : dans de telles circonstances, on se sent idiot, un peu simiesque même !

4. Alors, quelles solutions à la barrière des langues ?


— La traduction automatique.


— Apprendre chacun des tas de langues, dans l’espoir d’en avoir une en commun avec la personne en face de nous, ce qui dépend du hasard.


— Choisir une lingua franca, une langue auxiliaire acceptée par tous - ou presque, car on ne mettra jamais d’accord 5 milliards de gens !

Certains pensent que seule nous sauvera la technologie, la traduction automatique ; à ceux-là nous répondons qu’à ce jour la complexité des langues échappe totalement aux machines : idiotismes, plaisanteries, allusions, argots, références culturelles, contextualité, double et triple sens des mots - tout cela dépasse de loin ce qu’on ne peut encore appeler "intelligence artificielle".

Les effets d’annonce des constructeurs qui chaque année promettent pour demain de grands progrès dans la traduction automatique ne sont que de la mercatique, du "business". Pour l’instant, ces logiciels font du mot à mot (ce qui peut rendre service, reconnaissons-le), mais on est très loin d’une vraie traduction.

D’autres, l’UE en tête, répètent comme un mantra "apprenez des langues".

Mais le polyglottisme n’est pas un but à atteindre, c’est une situation qui existe depuis des siècles : la plupart des Européens sont polyglottes, à des degrés divers et dans diverses langues - nationale, régionale, frontalière, de grande diffusion, familiale ou professionnelle, et pays d’accueil.

La combinaison de langues est bien trop grande pour que le plurilinguisme (ou polyglottisme) assure à tout coup une langue commune, et tout nous montre que cette voie n’a conduit dans l’UE qu’au renforcement de l’anglais lingua franca.

Diverses variantes de cette idée existent : apprendre une langue de chaque groupe linguistique, placer l’anglais obligatoire en deuxième langue étrangère, ou construire un monde politique qui verrait une "grande langue" par continent, etc.

D’autres encore misent sur l’intercompréhension passive, une théorie qui en quinze ans n’a produit aucun résultat probant, aucune méthode d’apprentissage (uniquement un manuel qui concerne des langues voisines, par exemple entre les langues romanes). A notre avis, il ne s’agit que d’une médiocre connaissance de diverses langues, meilleure à l’écrit qu’à l’oral, meilleure passivement qu’en expression active. C’est ce que font depuis des siècles tous ceux qui voyagent et pratiquent beaucoup (marins, marchands, aujourd’hui businessmen, soldats, diplomates, etc.), mais ce n’est ni une nouveauté pédagogique ni une méthode miraculeuse.

Dans ces trois cas de figure, il s’agit d’un fantasme très hollywoodien ou enfantin - celui d’une nouvelle race qui naîtrait de méthodes pédagogiques révolutionnaires : le super-Européen doté de super-pouvoirs linguistiques !

Chacun connaît des enfants et des adultes polyglottes de bon niveau, mais c’est vouloir faire une règle de situations exceptionnelles, c’est confondre l’apprentissage d’une langue "maternelle" (en immersion constante), avec celui d’une langue étrangère, c’est oublier que l’école ne peut faire que de l’initiation aux langues.

Dernière possibilité, la plus logique, celle vers laquelle on tend par la force des choses : une lingua franca commune à toute la planète, c’est la voie d’avenir à court et moyen terme. Là encore, ce n’est pas d’une grande nouveauté, puisque cela a été le cas à toutes les époques ! Grec, latin, arabe, espagnol, russe, allemand, français, portugais, toutes ces langues ont eu leur heure de gloire, et des siècles pour y songer avec nostalgie… Toutes ont connu la "grandeur", le prestige d’être lingua franca apprise par l’élite de leur époque.

Cette solution s’impose inexorablement, car à chaque niveau supérieur d’organisation sociale depuis la vie tribale, une langue commune a été jugée nécessaire : les langues nationales ont chapeauté les langues ethniques ou régionales, parfois dans la douleur des conflits historiques, parfois plus pacifiquement.

Le XXe siècle a vu naître de nombreuses organisations internationales, politiques, commerciales, humanitaires, logistiques, professionnelles ; le fonctionnement de ces institutions étant rigoureusement impossible dans l’égalité des langues des pays membres, force a été d’élire une ou plusieurs langues de travail. Mais ce choix a toujours été un reflet de la puissance des langues et des pays qui les utilisent, jamais un choix raisonné.

Le même phénomène se déroule sous nos yeux à Bruxelles, où l’UE s’est construite sur la base de l’égalité des peuples et des langues, mais où bien vite on a convenu de trois langues de travail : anglais, allemand et français, c’est-à-dire les pays fondateurs plus l’anglais. Dès que la GB a adhéré à l’UE, pourtant sans enthousiasme et en obtenant de nombreux "opt-out", tout s’est accéléré, et le système des trois langues de travail, déjà une grande injustice pour les autres peuples, a montré ses limites et volé en éclats : les dirigeants de UE nous poussent à marche forcée vers l’anglais lingua franca, et, dans les relations extérieures de l’Union, ses envoyés ne font la promotion que de cette langue (sauf exception dans les zones francophones), sans que quiconque leur ait donné mandat pour cela... Notamment en Chine, où l’UE semble vouloir convertir un quart de l’humanité à l’anglais, délaissant l’Europe des cultures au profit de la monoculture anglophone économique. Seuls les naïfs, les hypocrites et ceux qui refusent la réalité peuvent le nier.

Le déclin de la francophonie est le prix à payer pour la construction européenne, il faut le savoir.

Pendant des années, l’UE a caressé le rêve d’un fonctionnement original, basé sur le multilinguisme "richesse de l’Europe", et cet effort a nourri l’idéologie sacro-sainte du multilinguisme. C’est devenu un dogme.

Pourtant, devant l’échec patent de cette politique, quelques voix pragmatiques se font à nouveau entendre. Un seul exemple, en Espagne récemment, une pétition intitulée "Manifeste pour la langue commune" a déclenché une polémique. Il y était rappelé, en substance, qu’une langue commune aussi est une richesse sur le plan politique, en favorisant l’unité d’un pays et de ses citoyens.

Inversement, la Belgique est devenue l’écharde dans le pied (ou la langue !) de l’UE, le rappel permanent que le multilinguisme n’est pas un long fleuve tranquille...

Revenons à Babel : la mondialisation est une évidence pour tous. Si nous pensons qu’une lingua franca est la meilleure solution à long terme pour l’UE et pour le monde, pourquoi ne pas la choisir sur des critères réfléchis et rationnels ?

En premier lieu, il faut éviter d’élire une grande langue nationale, car cela donne un immense avantage personnel, financier, scientifique et politique à ses natifs. Ce qui exclut l’anglais, le français, l’allemand et nombre d’autres.

Deuxièmement, il faut une langue facile, afin qu’elle soit accessible au plus grand nombre, pas seulement à une élite qui a l’occasion de faire des séjours d’immersion et de pratiquer régulièrement. Ce qui, là encore, exclut l’anglais, dont la réputation de facilité n’est que pure propagande, et le français (je renvoie à mon article d’AV sur la facilité comparée des langues).

Troisièmement, il faut que cette langue soit relativement internationale, afin d’avoir une chance d’être soutenue par tous ou presque. Ce qui là encore exclut l’anglais, langue nationale dotée d’une phonétique exceptionnellement chaotique, très inhabituelle parmi les langues, et de très nombreux idiotismes.

On peut rajouter que cette lingua franca devrait être relativement facile à prononcer pour le plus grand nombre de peuples, ce qui exclut les tons à la chinoise, les clics et autres raretés, et fait préférer une langue dont la proportion de consonnes et de voyelles soit proche de 50 % (seul élément objectif, car dire qu’une langue est jolie ou pas est trop subjectif), comme par exemple en espagnol, français ou italien, des langues dites chantantes.
 
Ne restent à notre avis que deux options :


— Une langue nationale ou ethnique facile, celle d’un petit groupe linguistique, si on trouve la perle rare : le basque ou le gaélique, par exemple ? Mais ces langues ne sont pas plus faciles que d’autres ; peut-être l’indonésien réputé facile ? Mais l’UE préférera évidemment une langue européenne, c’est humain.


— L’espéranto, ce qui est logique, puisque cette langue construite l’a été justement pour remplir cette fonction de langue auxiliaire, à partir d’un vocabulaire européen millénaire, c’est un vrai coup de bol pour nous Européens. En outre, sa grammaire est relativement internationale, puisque ramenée aux structures essentielles, et très régulière (comme en chinois, entre autres), sans conjugaisons ni déclinaisons, et à l’accent tonique fixe.

Le noyau de la langue est né d’un esprit génial, Zamenhof, polyglotte et linguiste autodidacte (à une époque où ce titre universitaire n’existait pas), après quoi elle a été peaufinée pendant un siècle par ses locuteurs.

Le choix de l’espéranto comme langue de communication, loin d’être un appauvrissement culturel, serait un gage de neutralité et respecterait toutes les langues en les mettant chacune sur un pied d’égalité, en faisant en sorte qu’une personne discutant avec un anglophone ne se sente pas maladroite, stupide, malhabile à exprimer sa pensée, en situation d’infériorité, d’humiliation, comme c’est le cas aujourd’hui. C’est ce que ressentent souvent les personnes obligées de faire un exposé en anglais dans une entreprise, de discuter politique avec des anglophones de naissance, de négocier avec des natifs, etc.

Comme toute langue, l’espéranto plonge ses racines dans d’autres langues. Certains la qualifient d’artificielle alors que ses racines sont millénaires ! Les nouveaux termes sont créés à partir de ses propres ressources lexicales et par ses possibilités combinatoires (Internet = "reto", le réseau, avec de nombreux mots dérivés), comme en français on a créé "courriel" ou "partagiciel".

Une langue de communication acceptée par la grande majorité serait comme l’eau qui court entre les pays par les rivières et les nappes souterraines, s’élève et retombe en pluie, faisant circuler les idées des uns aux autres. C’est d’ailleurs peut-être ce que certains pays craignent…

On a vu aussi que l’idée est vieille comme l’humanité, légitimée en quelque sorte par le mythe de Babel.

Une autre critique fréquente est l’absence de culture sous-jacente : c’est faux, mais, pour faire court, disons qu’un phénomène culturel sans précédent dans l’histoire de l’humanité est ipso facto de la culture !

Anecdote moins connue, mais très révélatrice des enjeux de pouvoir sous-jacents à la question des langues : déjà du temps des débuts de l’ONU (Société des nations), il avait été proposé d’utiliser l’espéranto comme langue internationale. Ce sont les "grands pays", dont la France et l’Allemagne, qui firent barrage, préférant privilégier leur langue.

Peut-être un jour, la langue mondiale sera-t-elle le chinois, qui sait, mais si l’on admet le besoin, la nécessité d’une langue internationale, force est de constater qu’à moyen terme il nous faudra choisir entre l’anglais ou l’espéranto, la première étant la mieux placée, l’autre la plus adaptée.

Ce que l’UE appelle le plurilinguisme, c’est la langue nationale plus l’anglais pour tous ! Mais il y a toutes sortes de plurilinguismes, et une langue auxiliaire facile n’empêcherait nullement d’apprendre d’autres langues selon les besoins professionnels, les origines familiales, l’expatriation ou les goûts.

Le plurilinguisme de l’UE n’est que le faux-nez du tout-anglais.

N’oublions pas non plus que, malgré les apparences, l’anglais a déjà échoué comme lingua franca mondiale : malgré près d’un siècle d’intense influence et de sommes inouïes investies par les États dans son soutien ou son enseignement, la traduction nécessite toujours d’énormes bataillons d’interprètes à l’ONU, et un très faible pourcentage de la population mondiale est véritablement "fluent". D’ailleurs il n’existe aucune étude sérieuse sur le sujet, et ce n’est pas un hasard... Il a échoué également parce que, malgré sa position très forte dans certains domaines (économique, politique, scientifique), les langues n’acceptent pas réellement cette hégémonie : les Instituts Confucius poussent comme des champignons, l’espagnol se renforce en Amérique du Sud et du Nord (3e langue sur internet), sans compter le français, l’allemand, le russe, l’arabe, qui veulent rester de "grandes langues".

Le dernier espoir de l’anglais de devenir réellement lingua franca mondiale est paradoxalement l’UE qui, dans ses relations extérieures, utilise quasi-exclusivement l’anglais au détriment de toutes ses autres langues, se comportant en véritable représentant de commerce de la GB et des Etats-Unis, outrepassant son mandat qui n’a jamais consisté à imposer l’anglais en Asie...

Cela dit, proposer l’espéranto, c’est un peu comme si la fourmi disait à l’éléphant : "Ce sera toi ou moi !" A chacun de voir si on veut soutenir l’équité ou la force.


5. Conclusion

Il est étonnant de constater à quel point la problématique évoquée dans ces deux versions de Babel est restée d’actualité, plusieurs millénaires plus tard.

La Terre est devenue petite, les communications instantanées, le commerce des biens et des idées explose… Pourtant la barrière des langues demeure bien plus solide que le Mur de Berlin.

Il n’y a aucune réflexion sérieuse sur la communication internationale, car chaque pays tient avant tout à pousser son avantage, ce qui, pour un État, est finalement naturel. Ces mêmes États ont jadis refusé la naissance des ONG, organisations qui nous semblent si naturelles aujourd’hui... Elles sont pourtant nées dans la douleur, dans l’incompréhension voire l’hostilité des puissances - je pense à l’excellent téléfilm d’il y a quelques mois sur la naissance de la Croix-Rouge, historiquement première d’entre les ONG caritatives, née par la force de volonté d’un idéaliste que ses contemporains jugeaient presque illuminé, un peu comme un certain Zamenhof qui a lancé les bases de l’espéranto !

La construction européenne est le moment idéal pour choisir une autre voie que la guerre des langues, pour débattre des différentes options : apprendre tous des tas de langues (un fantasme qui a conduit l’UE au tout-anglais), la traduction automatique (un effet d’annonce des concepteurs de logiciels qui cachent leur échec), ou le choix d’une langue auxiliaire commune sur des critères rationnels de temps d’étude/résultat, d’équité entre les peuples européens, et remplacer enfin le "choix" de la force par celui de la raison.

Dans une nouvelle de Maupassant, Le Rendez-Vous, l’amour que le personnage éprouve pour sa femme d’origine étrangère meurt du jour où elle a appris sa langue et où ils peuvent communiquer... C’est un peu la forme humoristique et un brin cruelle du mythe de Babel, qui laisse transparaître une peur irrationnelle devant l’idée d’une humanité dotée d’une langue auxiliaire commune.
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