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19 octobre 2009 1 19 /10 /octobre /2009 21:31

L’Union européenne devrait inciter à l’apprentissage de l’anglais dès la maternelle...

  Pas de panique ! Je vous rassure tout de suite : aucun bambin n’a été blessé pendant la préparation de cet article ; aucune horde de Français habitant une zone résidentielle à très forte densité de population, et ethniquement connotés, n’a récemment attaqué une école maternelle, une batte de base-ball à la main.

Ce sont seulement cent Français qui veulent imposer l’anglais dès la maternelle. Ouf ! Me direz-vous, ce n’était que ça.

C’est pourtant plus inquiétant qu’il n’y paraît au premier abord, car l’UE va considérer leur avis personnel comme représentatif de l’opinion publique française !

Mais de quoi s’agit-il exactement ?


Il faut remonter un peu en arrière pour comprendre le tour de passe-passe.

L’UE avait organisé des «  Consultations européennes des citoyens », sous-titrées « L’avenir économique et social de l’Europe », avec possibilité pour chacun de faire des propositions et de voter pour celle(s) que l’on soutient. Une grande consultation citoyenne, comme nous en avons connu sur l’avenir de l’école, initiatives que l’on ne peut qu’applaudir.

Ces consultations sont maintenant closes, voici le contenu du courriel envoyé aux participants :

« Avec plus de 9000 inscrits, cette consultation est un grand succès. Merci d’y avoir pris part !

1 — Sortir du nucléaire et favoriser les vraies énergies d’avenir : 3829 votes
2 — Abolir les corridas en Europe : 2434 votes
3 — Faire de l’Europe une Zone sans OGM : 1818 votes
4 — Reconnaître le droit de l’animal à ne pas être exploité et tué : 1539 votes
5 — Intégrer dans l’éducation les principes fondamentaux du développement durable : 846 votes
6 — Harmoniser et rendre obligatoire le tri des déchets dans toute l’UE : 790 votes
7 — Faire de l’espéranto une langue de communication de l’Europe : 784 votes
8 — Légalisation et contrôle du cannabis : 748 votes
9 — Légiférer les médecines alternatives : 652 votes
10 — Promouvoir les véhicules propres : 650 votes

Ces propositions seront présentées demain au panel de 100 Français qui participeront à Paris à la conférence nationale. Ceux-ci pourront s’en inspirer pour formuler leurs recommandations en vue d’améliorer l’avenir économique et social de l’Union européenne. »

Le détail des propositions est encore consultable. (C’est le même lien que ci-dessus)

Voici ce que la proposition 7, « faire de l’espéranto une langue de communication de l’Europe », est devenue, après discussion par le groupe des cent :

« 3 – L’Union européenne devrait inciter l’apprentissage d’une langue européenne dès la maternelle en :

— créant un cours d’éducation civique européenne, mis en pratique par un dialogue hebdomadaire avec une classe partenaire via les NTIC

— organisant un échange par cycle scolaire

— créant un mensuel européen distribué dans les écoles et mis en ligne sur le site de l’UE. »

Reconnaissons d’emblée que ces gens avaient tout à fait le droit de modifier les propositions initiales, voire de les rejeter (comme ce fut le cas pour la proposition « sortir du nucléaire »), puisque c’était clairement annoncé dès le début de la consultation :

« Ceux-ci pourront s’en inspirer pour formuler leurs recommandations en vue d’améliorer l’avenir économique et social de l’Union européenne. »

Le groupe des cent : représentatif ou pas ?

On peut s’interroger sur la forme : pourquoi lancer une consultation auprès d’un très large public, pour ensuite laisser un petit groupe, arbitrairement choisi, choisir arbitrairement ce qui lui agrée ? Ca fait un peu tour de passe-passe, comme le souligne un commentateur.

Ils n’ont consulté aucun professionnel des langues ou de l’école, ne sont pas nos représentants et n’ont aucun mandat électif : ils sont censés être la vox populi.

Après quoi la Commission européenne va choisir une quinzaine de « superpropositions » parmi celles des différents pays.

Anglais ou pas ?

Certes, l’anglais n’est pas cité, mais ces gens devaient quand même savoir qu’il est impossible, pour des raisons pratiques et économiques, de proposer dès la maternelle les 27 langues officielles de l’UE. Car il faut pouvoir poursuivre jusqu’en 6e dans la même langue - on ne va pas changer le bambin de langue étrangère comme les tout-petits de couche-culotte ! Il faudrait un très, très grand nombre d’enseignants, et cela constituerait un incroyable casse-tête administratif. Dans le meilleur des cas, on pourrait imaginer un choix parmi deux ou trois langues européennes, mais force est de constater que « l’initiation à une langue étrangère », le doux nom de la dernière réforme à l’école primaire, est vite devenue le tout anglais- sauf rares exceptions, et imposé sans choix, si j’ose dire.

Il est aussi suggéré un dialogue hebdomadaire par les NTIC (technologies de communication), mais avec qui ? Sachant que notre ministre Darcos a lancé de sa propre initiative des stages d’été d’anglais, on peut présumer que ce sera à nouveau avec des native english.

De plus, on imagine la richesse du dialogue (coûteux !) : n’oublions pas qu’il s’agit de bambins de maternelle qui commencent tout juste à faire quelques phrases en français, et qu’on prétend faire dialoguer avec un natif...


— Les enfants, répétez ce que dit la gentille dame/monsieur à la télé : « How do you do ? »

— Aouu, aouu, aouu ! - répèteront-ils tous en chœur, sans rien y comprendre.

On propose également «  un échange par cycle scolaire ».

En clair, nos enfants se verraient imposer de suivre tous leurs cours dans une autre langue pendant quelques semaines... Oh les braves petits cobayes humains.

Depuis quelques années, dans le petit monde de la pédagogie des langues (en jargon la didactique des langues), l’idée à la mode est de déborder sur les autres matières, d’envahir les collègues, d’imposer les langues étrangères en histoire, en géo, en maths, en arts plastiques, en gym (ne riez pas, ça s’est déjà fait dans une école parisienne ! L’histoire est parue dans les journaux), ainsi qu’à la télévision.
On peut espérer se la couler douce dans notre salle de bain et aux WC, mais ce n’est pas certain : il sera peut-être obligatoire de travailler « les » langues en écoutant la radio dans sa baignoire... un peu comme dans une nouvelle de SF qui décrivait un monde orwellien où il serait interdit de couper la publicité...

Une proposition qui figure en bonne place (3e) :

« Voici ces dix recommandations, dans leur ordre d’approbation par les participants »

Par le passé, j’ai parfois plaisanté en disant qu’on allait bientôt imposer l’anglais dans les salles d’accouchement (un discours de Gordon Brown est paraît-il un bon sédatif), mais il semble qu’on s’en approche !

D’autres propositions eussent été possibles

Du moins si le groupe des cent s’était un peu renseigné : présentation au CM1 ou CM2 de divers alphabets et langues européennes, apprentissage comparatif de phrases courantes, ou dans une langue par famille linguistique... mais non, ils proposent sans nuances l’introduction d’une langue étrangère dès la maternelle. C’est sans équivoque. Seul manque le mot tabou : anglais !

Prochaine étape : la Commission européenne !


« Prochaine étape : les 1500 participants à cette Consultation européenne devront choisir, parmi toutes les propositions formulées dans les 27 Etats membres, les 15 qu’ils présenteront aux dirigeants de l’UE en mai prochain. »

Des précisions tardives sur ce groupe des cent :

Le modérateur, dans une réponse aux commentaires, a bien voulu fournir ces précisions sur le choix de ces cent personnes :

« Les répondants dans les 27 états membres ont été recrutés selon des critères de représentativité nationale : âge, sexe, niveau d’éducation, origine géographique, habitat, minorités ethniques... dans la limite de l’échantillon imposé par pays. La sélection aléatoire et le recrutement s’est fait par listing électoraux, annuaires téléphoniques et base de données, dans le but de satisfaire les quotas imposés pour le projet. (Modérateur le mar, 24/03/2009 - 09:57). »

En plus, ils ont l’air souriants sur la photo, innocents (même lien que plus haut).

Manip ou pas manip ?

Le risque de manipulation n’est pas le fait de ces innocents aux mains pleines, il se niche parmi les responsables européens : la Commission pourra présenter l’anglais à la maternelle comme issu d’une très large consultation populaire, 9000 votes en France ! Alors qu’il ne figurait même pas parmi les propositions initiales... La magie, il n’y a que ça de vrai.


Conclusion provisoire (l’UE n’ayant pas fini sa consultation populaire) :

Au fou ! Laissez les bambins tranquilles ! Ils ont déjà bien du boulot à apprendre leur propre langue, dans laquelle ils balbutient, et vous voulez déjà les embrouiller avec une langue européenne ? Et laquelle ? Le polonais, l’italien, le basque, le maltais, le tchèque ?

Personne n’a songé qu’il serait structurellement impossible de proposer les 23 langues européennes, et qu’on retomberait fatalement dans le tout anglais qui sévit au primaire (sauf exceptions), ou a-t-on feint l’ignorance ?

Il s’agira d’anglais, of course : jamais nommé, toujours gagnant !

On se propose donc d’initier des bambins de maternelle à une langue dont la complexité phonétique est reconnue de tous les pédagogues et linguistes, une langue qui provoque chez les natifs trois fois plus de dyslexie que chez les petits Italiens (langue assez régulière sur le plan phonétique).

Est-ce bien raisonnable ? Non. En fait, c’est même totalement fou !

Au bénéfice du doute, acceptons que ces cent personnes ne connaissent rien de la question des langues à l’école.

Reste une mascarade de consultation citoyenne, le mépris des votants et l’instrumentalisation de cent personnes, dont la proposition va cautionner les incroyables pressions de la Commission pour faire de l’anglais la langue de l’Union européenne, et y coller de force nos enfants le plus tôt possible.

Au fou ! (bis, reprendre le refrain)
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